Département d'anatomie
Anecdotes anatomiques

Un lien géographique entre le thymus et Jimi Hendrix

 

Regis   Régis Olry, professeur titulaire, Département d’anatomie 

 

Île de Wight, 31 août 1970, petites heures du matin. L’incomparable Jimi Hendrix fait crier les cordes de sa guitare devant un parterre de 600 000 spectateurs. Exactement 27902 jours plus tôt — le 9 avril 1894 — décédait celui qui fut médecin sur cette même île de Wight et qui y avait fondé, dans la petite ville de Ventnor 1, un sanatorium connu sous le nom de National Cottage Hospital for Consumption and Diseases of the Chest. Ce médecin s’appelait Arthur Hill Hassall.

 

Histologie du thymus

Arthur Hill Hassall, médecin britannique né à Teddington le 13 décembre 1817, s’intéressait beaucoup à l’histologie 2. C’est ainsi qu’il découvrit, en 1846, les « éléments caractéristiques de la médullaire thymique » 3, connus depuis sous le nom de corpuscules de Hassall 4. Plusieurs synonymes apparaitront ensuite dans la littérature médicale (globules épidermiques de Verneuil, corps concentriques d’Ecker, corpuscules de Leber), mais c’est le nom de Hassall qui restera définitivement accolé à l’histologie du thymus.

  

189 hendrix

Portrait du Dr Arthur Hill Hassall par Lance Calkin, 1894 (St. Mary’s Hospital Isle of Wight).

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Thymus? Thym? Cyclothymique?

Le thymus demeura longtemps un organe si mystérieux qu’il fallu attendre 1909 pour qu’un chirurgien ose en pratiquer l’exérèse sur un patient 5. Nos connaissances physiopathologiques de cet organe lymphoïde ont depuis fort progressé, mais qu’en est-il de l’origine de son nom? Complexe assurément, car l’éminent étymologiste Joseph Hyrtl (1810-1894) écrivait en 1880 : « Man hat sich, leichtfertiger Weise, allerlei Unmögliches über die Abstammung von Thymus eingeredet » (On a, sans scrupule, fait croire à toute sorte d’impossibilités quant à l’origine du mot thymus) 6. Résumons quelques-unes des étymologies proposées au fil des temps.

 

Première hypothèse : le thymus dériverait tout simplement d’un mot grec signifiant « excroissance charnue » 7. Possible, mais pas sûr.

 

Deuxième hypothèse : il existerait un lien entre le thymus et le thym, cette plante aromatique bien connue. Le thym tire son nom du grec thúmos, dérivé du verbe túô qui signifie brûler de l’encens, et, par extension, faire des offrandes, car le thym dégage une odeur très agréable quand on le jette dans un feu. En plus d’être agréable, la fumée de thym avait pour les Anciens une propriété antiseptique mise à profit pour purifier les temples après y avoir pratiqué des sacrifices. Selon certain, l’aspect du thymus, ce « tubercule charnu qui ressemble à la fleur du thym » 8, aurait alors justifié le nom de cet organe, thymus signifiant thym en latin. Diablement tordu, mais nullement impossible.

 

Troisième hypothèse : le thymus serait impliqué dans la genèse des sentiments. Le mot grec thumós (remarquez que l’accent se situe cette fois sur le « o » et non plus sur le « u » comme précédemment) 9 peut se traduire par siège des émotions, âme, cœur, mais aussi sentiment. Or, selon Aristote, le siège des sentiments ne saurait être le cerveau (froid et humide) mais le cœur (chaud et sec). Le thymus, placé sur la face antérieure du cœur, pouvait donc influencer celui-ci et générer toutes sortes de sentiments qu’il ne restait alors plus qu’à diffuser dans le corps par voie artérielle : d’où les termes médicaux faisant référence à l’humeur : dysthymie, cyclothymie, thymo-analeptique, etc. Très poétique — rappelons que le thym était d’ailleurs reconnu pour chasser la mélancolie 10 — mais peu crédible.

 

 

Terminons par un de ces incroyables hasards dont l’Histoire jamais ne fut avare. En gastronomie, le thymus est connu sous le nom de ris de veau. Or, le chirurgien, que nous mentionnions ci-dessus comme le premier à pratiquer une thymectomie, s’appelait… Victor Veau (1871-1949). Cela ne s’invente pas.

 

 

Notes

1 Petite ville qui peut s’enorgueillir, entre autre, d’avoir vu Charles Dickens (1812-1870) y écrire une partie de sa célèbre huitième nouvelle David Copperfield en 1849.

2 Hirsch A. (1886) Biographisches Lexikon der hervorragenden Aerzte aller Zeiten und Völker. Wien und Leipzig, Urban & Schwarzenberg, vol. 3, p. 77.

3 Worms G., Klotz H.P. (1935) Le thymus. Anatomie. Histologie. Physiologie. Clinique et thérapeutique. Paris, Masson et Cie, p. 21.

4 Hassall A.H. (1846) The microscopic anatomy of the human body in health and disease. London, S. Highley, p. 478.

5 Olivier E. (1911) Anatomie topographique et chirurgie du thymus. Paris, G. Steinheil, p. 9.

6 Hyrtl J. (1880) Onomatologia anatomica. Wien, Wilhelm Braumüller, p. 544.

7 Bossy J. (1999) La grande aventure du terme médical. Filiation et valeurs actuelles. Montpellier, Sauramps-médical, p. 370.

8 Marcella E. (1841) Grammaire grecque systématique et raisonnée. Paris, chez l’Auteur, seconde partie, p. 409.

9 Chassang A. (1894) Nouveau dictionnaire grec-français. Paris, Garnier frères, p. 452.

10 Collectif (1819) Nouveau dictionnaire d’histoire naturelle. Paris, Deterville, vol. 34, pp. 75-76.

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