Département d'anatomie
Anecdotes anatomiques

Entre vaisselle et mythologie

 

Regis   Régis Olry, professeur titulaire, Département d’anatomie 

 

L’avocat, musicien et homme politique Jean Anthelme Brillat-Savarin (1755-1826), en outre un des pionniers de la gastronomie scientifique 1, attachait autant d’importance au contenant qu’au contenu. En été 1782, à la fin d’un succulent repas offert par les Bernardins de Saint-Sulpice, on l’entendit s’extasier : « le café était limpide, parfumé, chaud à merveille; surtout, il n’était pas servi dans ces vases dégénérés qu’on appelle “tasses”, mais dans de beaux et profonds bols » 2. Au diable donc Alfred de Musset et son « peu importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse » 3, le récipient participe activement au plaisir des yeux, du nez et des papilles. Ce qui est vrai pour le café doit, bien sûr, l’être aussi pour le reste, y compris les assaisonnements. Voilà qui, fort curieusement, nous ramène une fois encore à l’anatomie.

 

Acétabulum

Le terme acétabule désignait jadis toute cavité articulaire « où se loge la tête d’un os » 4. Aujourd’hui plus restrictif, son alter ego latin acetabulum s’applique spécifiquement à la cavité articulaire de l’os coxal destinée à recevoir la tête fémorale. On rencontre également dans certains écrits médiévaux un terme phonétiquement très voisin, Acceptabulum (du latin accepto, recevoir, accueillir), impliquant que cette région accepte quelque chose; en l’occurrence quia accepit caput femoris (« car il reçoit la tête du fémur ») 5. Mais revenons à l’acétabulum. Marcus Gavius Apicius, gourmet romain du 1er siècle de notre ère, nous apprend qu’un acetabulum était un petit récipient contenant du vinaigre aromatisé dans lequel on trempait des morceaux de pain, et qu’en plus de vinaigre (aceti acetabulum), il pouvait également contenir de l’huile (olei acetabulum) 6. Ce n’est donc pas un hasard si l’acetabulum a pour racine acetum, vinaigre (d’où, bien sûr, l’acide acétique).

 

 

190 Apicius

Page de titre du De re coquinaria de Marcus Gavius Apicius, (Mediolani, per Guilermum Signere, 1498).

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Le lexicographe allemand Lorenz Diefenbach (1806-1883) donne lui aussi dans la vaisselle, mais troque le récipient à vinaigre pour une « Phanna », terme qui, semble-t-il, signifiait « poêle » 7. Histoire, peut-être, de frire avant d’assaisonner…

 

Cotyle

Le cotyle grec (Kotulé), à l’image de son homologue latin, fait référence à la cavité dans laquelle s’emboite un os, mais aussi à un vase, une écuelle, ou un gobelet. Bien qu’officiellement remplacés par acétabulum dès 1895, les cotyles ou cavités cotyloïdes essaimèrent encore longtemps dans la littérature médicochirurgicale 8, 9. De la région de la hanche à la cavité de l’utérus gravide, il n’y a (étymologiquement) qu’un pas : on trouve donc, sur la face utérine du placenta, des cotylédons (du grec Kotulédôn, petites cavités en forme de coupes) que l’anatomie galénique, sans surprise, désigne aussi sus le nom  d’ « acétabules » 10.

 

Une conclusion mythologique

En Laconie, extrême sud-est de la péninsule du Péloponnèse, le dieu de la médecine Asclépios était surnommé Cotyleos. Pourquoi? Parce que le fameux Hercule, lors de son combat contre Hippocoon pour rétablir Tyndare sur le trône de Sparte, fut blessé à la hanche et, pour remercier Asclépios de l’avoir guéri, il lui fit élever un temple 11.

 

 

Notes

1 Il publia en 1825, et sans nom d’auteur, sa très célèbre Physiologie du Gout, maintes fois rééditée depuis.

2 Boissel T. (1989) Brillat-Savarin (1755-1826). Un chevalier candide. Paris, Presses de la Renaissance, p. 48.

3 Musset A. de (1908) La Coupe et les Lèvres. Poème dramatique. Paris, Librairie de la Bibliothèque nationale, p. 10 (l’édition originale est de 1831).

4 Zylberstein J.-C. (Ed.) (1996) Dictionnaire des mots rares et précieux. Paris, Éditions 10/18, p. 3.

5 Hyrtl J. (1880) Onomatologia Anatomica. Geschichte und Kritik der anatomischen Sprache der Gegenwart. Wien, Wilhelm Braumüller, p. 3.

6 Apicius (1852) De obsoniis et condimentis, sive arte coquinaria libri decem. Venetiis, excudit Joseph Antonelli, col. 135.

7 Diefenbach L. (1857) Glossarium latino-germanicorum. Francofurti ad Moenum, sumptibus Josephi Baer Bibliopolae, p. 9.

8 Dieulafé L. (1931) La cavité cotyloïde. Anatomie chirurgicale. Développement. Malformations. Paris, J.-B. Baillière et Fils.

9 Boquet H. (1934) Les coxites de croissance avec luxation progressive de la tête fémorale. Nancy, Société d’Impressions Typographiques, p. 19.

10 Lauth T. (1815) Histoire de l’anatomie. Strasbourg, F.G. Levrault, p. 247. Paradoxalement, les cotylédons placentaires étant en relief et non en creux, c’est à la muqueuse utérine et non au placenta qu’aurait du logiquement s’appliquer le terme.

11 Jacobi E. (1846) Dictionnaire mythologique universel. Aris, Firmin Didot Frères, p. 116.

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