Département d'anatomie
Anecdotes anatomiques

Sagesse ou gaillardise?

Regis   Régis Olry, professeur titulaire, Département d’anatomie 

Au XVIe siècle, le dentiste français Urbain Hémard (ca. 1548-1592) avait défini les dents de sagesse, dentes sapientiae, comme étant « ces dents qui poussent hors des gencives au temps que l’homme commence d’entrer en sa gaillardise » 1. Or devenir gaillard, c’est-à-dire « vigoureux, hardi, un peu trop libre, ou légèrement pris de vin » 2 nous semble décidément bien éloigné de la sagesse. D’autres anciens synonymes de dents de sagesse semblent également contredire l’assertion d’Urbain Hémard : dentes rationis (« raisonnable ») pour Johann Doläus, dentes sensus et intellectus pour Jean de Gorris, sôphronistérès (« qui rend meilleur ») pour Hippocrate, ou moderatus (« sage, modéré »). Les termes dentes serotinus (« qui vient tard »), dentes aetatem complectens (« qui comprend l’âge viril ») ou moderatores (« qui modère, raisonnable ») nous apparaissent donc mieux choisis. Jean Riolan ira jusqu’à qualifier de dentes stultitiae (« dents sottes, niaiseuses, déraisonnables ») toute dent autre que celles dites de sagesse.

Mais qu’en est-il des dents en général, ainsi que des incisives, canines, et molaires? Une étymologie de premier jet peut se résumer à peu de choses : « Les premières sont chargées d’entailler – incido -, les secondes de déchirer comme opèrent les chiens – canis -, les autres d’écraser comme le font des meules – mola » 3. Essayons d’y voir un peu plus clair 4, 5.

 

187 anatomie dentaire

Page de titre du premier traité d’anatomie dentaire (Urbain Hémard, 1582)

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Les dents en général

Autrefois, les dents furent parfois nommées « quennes », d’où sans doute les « quenottes » (petites dents, appelées aussi « denteletes » 6 au XIIème siècle 7), et même le « quenottier », ancien synonyme de dentiste que l’on peut lire sous la talentueuse plume de Joris-Karl Huysmans (1848-1907) dans son roman À rebours 8. On retrouve également les termes « rates », « ratiches » (du latin radix, racine), et « cane » (ancien nom de la mandibule, fort probablement à l’origine du mot « ricanement » 9). Quant aux dents de lait, on les trouve parfois sous le nom de « tranchantes », « fendantes », ou « gelasines » (du grec gélanès, « riant »).

 

Incisives, canines, molaires

Les incisives (incisivi), ou « incisoires », furent dites risorii (« riantes », comme les dents de lait), quaterii (« quatre fois », car au nombre de quatre par arcade dentaire), primi ou primores (car les premières à faire éruption), anteriores (de par leur position), et acuti (du verbe acuo, rendre aigu, aiguiser).

Pour les canines, les anciens synonymes foisonnent : dentes angulares (« dents angulaires », ce qui consacre une erreur car, contrairement aux animaux carnivores, la série des incisives et celle des molaires humaines ne forment pas un angle, où se situerait la canine, mais une ogive), dentes laniarius (du verbe lanio, « lacérer, mettre en pièces, déchirer »), kunodous (du grec kuon, « chien », d’où, bien sûr, dérive le nom actuel « canine »), ou dentes cuspidati (de cuspido, « rendre pointu »). Plus surprenant, le terme dens ocularis, ou « œillères », qui ne s’applique qu’aux canines supérieures, car leur carie « qui aura donné lieu à différentes fluxions phlegmoneuses (…) il en puisse résulter une fistule lacrymale » 10.

Quant aux molaires, on les rencontre sous les noms de « masselières », « maschelières » (fonction de mastication), ou clavales buccarum (« massues de la bouche », allusion à l’écrasement des aliments).

 

Chronique quelque peu empesée d’étymologies, mais nous tenions mordicus (!) à vous la proposer.

 

 

Notes

1 Hémard U. (1582) Recherche de la vraye anathomie des dents, nature et propriétés d’icelles… Lyon, Benoist Rigaud, p. 49.

2 Augé P. (1930) Larousse du XXe siècle. Paris, Librairie Larousse, vol. 3, p. 679.

3 Delaveau P. (1995) La mémoire des Mots en Médecine, Pharmacie et Sciences. Paris, Louis Pariente, nouvelle édition, p. 322.

4 Tarin P. (1753) Dictionnaire anatomique. Paris, Briasson, p. 33.

5 Hyrtl J. (1880) Onomatologia Anatomica. Geschichte und Kritik der anatomischen Sprache der Gegenwart. Wien, Wilhelm Braumüller, pp. 176-178.

6 Une quasi homologie phonétique entre « denteletes » et « dents de lait » ne relève peut-être pas du hasard?

7 Greimas A.J. (1969) Dictionnaire de l’ancien Français jusqu’au milieu du XIVe siècle. Paris, Larousse,  p. 169.

8 Huysmans J.-K. (1884) À rebours. Paris, G. Charpentier, p. 66.

9 Pagès F. (1983) Au vrai chic anatomique. Paris, Éditions du Seuil, p. 138.

10 Jourdain M. (1778) Traité des maladies et des opérations réellement chirurgicales de la bouche, et des parties qui y correspondent. Paris, Valleyre, vol. 1, p. 504.

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