Département d'anatomie
Anecdotes anatomiques

Drôles de noms pour une artère 

Regis   Régis Olry, professeur titulaire, Département d’anatomie 

En 1953, l’anatomiste Jacques Cayotte (1915-1992) et le chirurgien Jean Sommelet (1923-2012) publièrent un article sur une curieuse coïncidence, la présence d’une artère thyroïdienne surnuméraire relativement rare sur deux corps côte à côte lors d’une même séance de dissection pour étudiants en médecine : « La rareté de cette artère rend des plus curieuses la coïncidence de la rencontrer deux fois en même temps, sur deux tables de dissection voisines » 1. Cette coïncidence se serait-elle déjà produite en Allemagne, précisément à Jena, en 1772?

 

Des noms communs… peu communs

L’artère thyroïdienne en question est une variation anatomique. Alors que la glande thyroïde reçoit classiquement quatre artères (deux thyroïdiennes supérieures droite et gauche issues de la carotide externe, et deux thyroïdiennes inférieures droite et gauche naissant du tronc thyrocervical), elle peut bénéficier d’un apport artériel supplémentaire dans environ 10% des cas : l’artère thyroïdienne moyenne 2, ou artère thyroidea ima 3, ou encore artère anonyme 4. Quelques remarques s’imposent au sujet de ces termes.

Artère thyroïdienne moyenne ne correspond pas à la réalité anatomique, cette artère prenant naissance de l’arc aortique (0,90%), du tronc brachiocéphalique (6,27%), de la carotide commune (0,69%) ou de la thoracique interne (1,22%) 5, c'est-à-dire à un niveau plus bas que celui des artères thyroïdiennes inférieures. En effet, l’adjectif moyenne sous-entendrait que l’artère ait son origine entre celles des artères thyroïdiennes supérieure (plus haut) et inférieures (plus bas), ce qui n’est pas le cas.

Artère thyroidea ima est un mélange de français et de latin comme il en existe d’autres exemples dans la nomenclature anatomique officielle 6. Thyroidea se passe évidemment de commentaire, mais que signifie ima ? C’est le superlatif du latin inferius, signifiant « le (ou la) plus bas(se) ». Artère thyroidea ima désigne donc la plus basse des artères de la thyroïde, ce qui est bien le cas. Il existe par ailleurs un autre exemple : l’artère lombale ima, cinquième (donc la plus basse) artère lombale née de la sacrale médiane 7. Nous avons également rencontré une fois le terme primae 8 en lieu et place de imae, ce qui ne saurait être qu’une erreur d’impression.

Artère anonyme est une curieuse manière de nommer une structure en la désignant comme n’ayant en réalité pas de nom. Dans le même registre, rappelons les termes d’os innominé (actuel os coxal) et de canal innominé d’Arnold (creusé dans l’os sphénoïde), doublement paradoxal puisque portant à la fois le nom de Friedrich Arnold (1803-1890) et l’adjectif « innominé » lui retirant donc tout nom…

 

Johann Ernst Neubauer

Bien que non officiel, le nom le plus courant de cette artère est celui d’artère de Neubauer, effectivement décrite en 1772 par l’anatomiste allemand de Jena Johann Ernst Neubauer (1742-1777) en 1772 9.

 

185 Neubauer

Johann Ernst Neubauer, vers 1770, Friedrich-Schiller-Universität, Jena.

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Le professeur Eugène Olivier (1881-1964) écrivait en 1924 que l’artère de Neubauer était également connue sous le nom d’artère de Terdmann 10. Inutile de fouiller tous les dictionnaires biographiques à la recherche du dénommé Terdmann, car il n’a jamais existé que par une coquille typographique : le vrai patronyme était en réalité Erdmann. Et en effet, un dénommé August Christian Erdmann a bel et bien décrit un cas d’artère de Neubauer, lui aussi à Jena et en 1772! S’agirait-il d’une étrange coïncidence comme celle mentionnée dans l’introduction de cette chronique?

Non. C’est malheureusement bien plus simple. August Christian Erdmann était le doctorant,  Johann Ernst Neubauer était son directeur de thèse 11. Voilà pourquoi on continue parfois de croire que deux anatomistes firent la même découverte, dans la même ville, et dans la même année, selon que la référence citée est attribuée à l’étudiant Erdmann ou au professeur Neubauer.

 

 

Notes

1 Cayotte J., Sommelet J. (1953) À propos de deux observations d’artère thyroïdienne moyenne. Archives d’Anatomie, d’Histologie et d’Embryologie 35 (3/8) : 230.

2 Manuila A., Manuila L., Nicole M., Lambert H. (1981) Dictionnaire français de médecine et de biologie. Paris, Masson, vol. 2, p. 303.

3 Barone R. (1977) Nomenclature Anatomique Française.Tome 4 de l’Atlas d’Anatomie Humaine de Sobotta. Paris, Maloine S.A., p. 144.

4 His W. (1895) Die anatomische Nomenclatur. Nomina anatomica. Archiv für Anatomie und Physiologie, Anatomische Abtheilung, Supplement-Band, p. 68.

5 D’après Cayotte J, Sommelet J., op. cit

6 Par exemple le foramen spinosum, traduit par foramen épineux.

7 Federative Committee on Anatomical Terminology (1998) Terminologia Anatomica. International Anatomical Terminology. Stuttgart, New York, Thieme, p. 87.

8 Hedenus A.G. (1822) Tractatus de glandula thyreoidea tam sana quam morbosa. Lipsiae, in Libraria Weidmannia, p. 14, note de bas de page no. 48.

9 Neubauer J.E. (1772) Descriptio arteriae innominatae et thyroideae imae. Jena, Litteris Stravssianis.

10 Olivier E. (1924) L’artère thyroïdienne moyenne de Neubauer. Ses rapports avec le thymus. Revue française d’Endocrinologie 4 : 275-280.

11 La page de titre de la thèse mentionne les deux noms : Descriptio arteriae innominatae et thyroideae imae (…) praeside Ioanne Ernesto Neubauer (…) Auctor Augustus Christianus Erdmann.

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