Département d'anatomie
Anecdotes anatomiques

S’il n’existait pas, il faudrait l’inventer! 

Regis   Régis Olry, professeur titulaire, Département d’anatomie 

Savez-vous qui a dit : « Si Dieu n’existait pas, il faudrait l’inventer »? Aussi surprenant que cela puisse paraître — du moins pour ceux qui se contentent d’à peine effleurer l’histoire de la Révolution française —, c’est Maximilien Robespierre (1758-1794), dans un discours à la Société des Jacobins le 21 novembre 1793 1. Mais il ne fut pas le premier à énoncer cette maxime. Un écrivain, et non des moindres, l’avait effectivement précédé d’un peu plus de 20 ans: Voltaire (1694-1778), dans son Épitre numéro 104 rédigée en 1769 2. Ce qui d’ailleurs est tout aussi surprenant — du moins pour ceux qui cette fois ne se contentent pas d’à peine effleurer l’histoire de la Révolution française — quand on se rappelle que Voltaire concluait souvent ses lettres par la formule « Écraser l’infâme » 3 ou son abréviation « Écr. L’inf. » 4. Qui désignait-il sous le nom d’infâme? L’intolérance religieuse, voire, si l’on en croit le dominicain Henri-Dominique Lacordaire, Jésus-Christ ou Dieu en personne.

En toute humilité et bien sûr en tant qu’anatomiste, osons aujourd’hui paraphraser le patriarche de Ferney et l’Incorruptible : « si ce tubercule et cette veine n’existaient pas, il faudrait les inventer ».

                               

177 Voltaire 177 Robespierre
Voltaire, vers 1736, par Maurice Quentin de la Tour, Château de Ferney-Voltaire. Robespierre, École française du XIIIe siècle, Musée Carnavalet.

                                                                                 

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Le tubercule de Bouisson

Le tubercule du pyramidal se situe sur le bord supérieur de la grande incisure ischiatique, juste en dehors de l’articulation sacro-iliaque. Il donne insertion, comme son nom l’indique, aux fibres extra-pelviennes du muscle pyramidal du bassin 5. Au début du XXe siècle, ce tubercule fut désigné sous le nom de tubercule de Bouisson par Léo Testut et Octave Jacob dans leur très classique Traité d’Anatomie topographique 6, et le terme survécut tant en anatomie qu’en anthropologie. If fut pourtant démontré, une quinzaine d’années plus tard 7, que cette appellation était inappropriée puisque ce tubercule, « Bouisson ne l’a jamais mentionné » 8. Si donc le tubercule du pyramidal existe réellement 9, celui de Bouisson a par contre bel et bien été inventé.

 

La veine de Kranz

Une veine dite de Kranz a jadis été décrite au niveau du corps utérin. Nous ignorons l’origine exacte du terme, mais l’éponyme pourrait bien être tout à fait justifié sachant que plusieurs gynécologues-obstétriciens de ce nom publièrent des travaux dans lesquels auraient pu effectivement se trouver la description d’une telle veine : J. Antonius Kranz en 1829, Melchior Fremont Kranz en 1891, Peter Kranz en 1892, Bertram Kranz en 1896, parmi d’autres fort probablement 10, 11, 12. Mais ce ne fut malheureusement qu’une erreur de traduction du terme Kranzvene qui signifiait non pas veine de Kranz, mais veine coronaire. L’éponyme, inventé car n’existant pas, resta toutefois longtemps présent dans le monde de la gynécologie, comme en témoigna le très coloré chirurgien Louis-Hubert Farabeuf (1841-1910) : « [ce terme naquit de] la méprise d’un jeune accoucheur qui […] vulgarisa la notion d’une veine de Kranz que tout étudiant, interrogé sur l’utérus, ne manqua jamais de nous servir » 13.

 

 

Notes

1 Cité par Jaume L. (1996) Robespierre. Des principes révolutionnaires à l’Être suprême. In : Jourdan A. (Ed.) Annuaire d’Études Européennes 9 : p. 50.

2 Voltaire (1877) Œuvres complètes. Paris, Garnier, vol. 10, pp. 402-405.

3 Lettre à Jean le Rond d’Alembert (1717-1783), datée du 28 novembre 1762.

4 Lettre à Étienne Noël Damilaville (1723-1768), datée du 7 janvier 1764.

5 Devenu muscle piriforme depuis 1895.

6 Testut L., Jacob O. (1921) Traité d’anatomie topographique avec applications médico-chirurgicales. Paris,  Octave et Gaston Doin, 4ème édition, vol. 2, p. 895.

7 Lazorthes G., Lhez A. (1939) La grande échancrure sciatique. Étude de sa morphologie et de ses caractères sexuels. Archives d’Anatomie, d’Histologie et d’Embryologie 27 : 143-169.

8 Genovès S. (1959) L’estimation des différences sexuelles dans l’os coxal : différences métriques et différences morphologiques. Bulletins et Mémoires de la Société d’Anthropologie de Paris 10 (1) : p. 36.

9 Désigné dès 1875 par un certain Champenois sous le nom d’arrière-tubercule de la courbe supérieure de la grande échancrure sciatique, puis par Hippolyte Morestin en 1894 sous le nom de tubercule du ligament sacro-iliaque.

10 Index-Catalogue of the Library of the Surgeon-General’s Office, United States Army (1886) Washington, Government Printing Office, vol. VII, p. 541.

11 Index-Catalogue of the Library of the Surgeon-General’s Office, United States Army (1903) Washington, Government Printing Office, second series, vol. VIII, p. 846.

12 Ricci J.V. (1945) One Hundred Years of Gyneacology 1800-1900. Philadelphia, The Blakiston Company, p. 432.

13 Farabeuf L.-H. (1905) Les vaisseaux sanguins des organes génito-urinaires, du périnée et du pelvis. Paris, Masson et Cie, p. 164.

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