Département d'anatomie
Anecdotes anatomiques

Quand se présente l’aiguillage des vocations

Regis   Régis Olry, professeur titulaire, Département d’anatomie 

Dans son roman La Maison Nucingen paru en 1838, Honoré de Balzac écrivait que « les vocations manquées déteignent sur toute l’existence » 1. Tels les inquiétants trains de Paul Delvaux figés en attente d’une destination, l’humain voit parfois poindre un aiguillage qui, manipulé par une volonté extérieure, va déterminer un avenir qu’il ignorait jusqu’alors devoir être le sien. Qu’on la déguise en destin ou en hasard, cette volonté extérieure peut prendre bien des formes, parmi lesquelles de simples bavardages avec un camarade ou la perte d’un être cher. Deux personnages vécurent précisément ces deux circonstances : l’un devait être prêtre, l’autre avocat, mais tous deux devinrent de grands anatomistes.

 

Jacques-Bénigne Winslow

Né le 2 avril 1669 à Odense (Danemark), Jacques-Bénigne était fils du pasteur Pierre Winslow 2 et de Marthe Brun. Destiné à l’état ecclésiastique par habitude familiale, Jacques-Bénigne commença donc des études de théologie, mais « une circonstance singulière » 3 allait bientôt lui faire troquer l’encensoir pour le scalpel : « Un de ses compatriotes, avec lequel il s’était lié d’amitié, avait été destiné par ses parents à la médecine; les deux amis ne purent se voir longtemps sans se faire part réciproquement des objets de leurs études; c’en fut assez pour développer, chez le jeune Winslow, le goût qu’il avait apporté en naissant pour l’anatomie […] d’un autre côté, son compagnon fut aussi satisfait de l’étude de la théologie […] les deux amis, après un peu d’opposition de la part de leurs parents, obtinrent la liberté de suivre leur goût naturel, & de changer de destination » 5. En quelques années, le docteur Winslow — membre de l’Académie des sciences (1707), professeur d’anatomie au Jardin du Roy (1743) — devînt un des anatomistes les plus renommés du XVIIIe siècle. Nous n’avons malheureusement pas pu trouver le nom de ce compatriote basculé de la médecine vers la foi; probablement sans même le savoir, il ouvrit à son camarade Jacques-Bénigne une merveilleuse carrière scientifique.

 

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Jacques-Bénigne Winslow (1669-1760).

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Louis-Pierre Gratiolet

Le nom de Gratiolet évoque bien sûr les radiations optiques, Radiatio occipitothalamica (Gratioleti) en 1895, devenues Radiatio optica depuis 1935 6. Dans la liste de ses 51 publications 7 se trouve effectivement celle contenant la description princeps des radiations optiques 8.

Louis-Pierre Gratiolet est né le 6 juillet 1815 à Sainte-Foy-la-Grande, petite ville du département de la Gironde. Petite ville certes — 2500 habitants environ — mais qui pourra, moins de 10 ans plus tard, s’enorgueillir de voir naître Paul Broca 9, et au XXe siècle, accueillir en son collège protestant le bientôt célèbre neurobiologiste et neuropsychiatre Jean-Didier Vincent 10.

Fils du médecin Pierre-Augustin Gratiolet (1770-1840) et de Charlotte-Fanny Scoriac, Louis-Pierre et sa famille s’installèrent à Bordeaux (1820), puis à Paris (1829) où le jeune homme commença des études de droit car « il [avait] prit, dès son enfance, le parti du faible contre le fort » 11. Mais un drame vînt lui faire embrasser une autre carrière : la mort de sa sœur, âgée de 18 ans. Profondément marqué par cette disparition, il comprit que la maladie pouvait également être source d’injustice, injustice qu’il ne pouvait combattre comme avocat mais comme médecin. Supporté dans ce choix par Etienne Pariset (secrétaire perpétuel de l’Académie de médecine) et Henri-Marie Ducrotay de Blainville (professeur au Museum), Gratiolet se lança dans une carrière d’anatomiste dont il fut un des illustres représentants au XIXe siècle. Comme dans le cas de Jacques-Bénigne Winslow, nous n’avons malheureusement pas trouvé le nom de cette sœur, « volonté extérieure » qui, par sa mort, avait changé l’aiguillage des vocations.

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Louis-Pierre Gratiolet (1815-1865).

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Notes

1 Balzac H. de (1967) La Maison Nucingen. In : La Comédie humaine. Lausanne, Éditions Rencontre, vol. 11, p. 361.

2 De son vrai nom Mansen, Winslow était dérivé du nom Winslöe ou Winflée, village de la province de Scanie, en Suède, car il était lui-même d’ascendance suédoise.

3 Anonyme (1776) Éloge de  M. Winslow. In : Winslow J.-B. (1776) Exposition anatomique du corps humain. Paris, Savoye, D’Houry, Bauche, Guillyn, P.F. Didot le jeune, nouvelle édition, vol. 1, p. xx.

4 Garraud R.M. (1955) Un artisan de l’amitié franco-danoise « Jacques-Bénigne Winslow ». anatomiste danois. Professeur au Jardin du Roy de France. La Presse Médicale 76 : 1589-1590.

5 Hazon J.-A. (1778) Notice des hommes les plus célèbres de la Faculté de Médecine en l’Université de Paris. Paris, Benoît Morin, p. 203.

6 Donáth T. (1960) Erläuterndes anatomisches Wörterbuch. Vergleichende Übersicht der Baseler, Jenaer und Pariser Nomenklaturen, gruppiert nach Organen. Terra Budapest, Verlag Medicina Budapest, p. 215.

7 Grandeau L. (1865) Pierre Gratiolet. Sa vie et ses œuvres. Paris, J. Hetzel, pp. 51-60.

8 Gratiolet L.P. (1854) Note sur la découverte d’un plan fibreux résultant des expansions cérébrales du nerf optique. Comptes rendus de l’Acad. 39 : 274.

9 Né le 28 juin 1824.

10 Auteur, parmi d’autres ouvrages, du best-seller Biologie des passions (Paris, Odile Jacob, 1986).

11 Grandeau L., op. cit., p. 10.

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