Département d'anatomie
Anecdotes anatomiques

Le Kaitai Shinshô

Regis   Régis Olry, professeur titulaire, Département d’anatomie 

Dans les années 1630 à 1850, la politique japonaise de relations extérieures du shogounat est souvent qualifiée de Sakoku, c'est-à-dire « le pays verrouillé ». La médecine traditionnelle y était presque exclusivement le reflet de « l’art médical chinois » 1. En fait, l’historien contemporain Hamashita Takeshi 2 rétablit une vérité quelque peu différente en qualifiant ce classique ostracisme non pas de « fermeture » mais d’ « ouverture sélective » 3. Ouverture sélective dont bénéficièrent principalement les Hollandais, ce qui, en contrepartie, permit à la médecine japonaise de s’inspirer des connaissances scientifiques européennes. De cette « fertilisation croisée » naquit ce que l’on considère être le premier livre d’anatomie occidentale traduit au Japon : le Kaitai Shinshô.

 

L’anatomie japonaise avant le Kaitai Shinshô

Dès 1314, Shôzen Kajiwawa avait représenté quelques viscères dans son Gozô-roppu-no-zu, mais l’influence chinoise y était omniprésente, et les très rares dissections autorisées n’étaient que celles de condamnés à mort. Vers 1720, le shôgun Tokugawa Yoshimune (1684-1751) décida d’autoriser l’importation de livres médicaux hollandais, ce qui ouvrit officiellement la porte à l’introduction des connaissances anatomiques occidentales au pays du Soleil-Levant. Citons par exemple 5, le Oranda zenku naigai bungôzu publié en 1772 par le médecin Suzuki Sô-un de la province de Suwô, ouvrage rarissime — seulement cinq exemplaires répertoriés à ce jour 6 — traduit et adapté par Motoki Ryôi, interprète à Nagasaki, à partir de l’édition hollandaise de 1667  du Catoptrum microcosmicum de Johann Remmelin 7 (1583-1632).

 

Le Kaitai Shinshô

L’importance du Kaitai Shinshô au Japon fut comparable à celle du De corporis humani fabrica libri septem d’André Vésale en Occident 8, comme d’ailleurs en fait foi son prix sur le marché du livre ancien 9. C’est un ouvrage en 5 tomes (4 de texte et un atlas), publié à Musashi (Edo) en août 1774 par le libraire Suwaraya Ichibei. À l’origine de cette traduction/adaptation, on trouve Sugita Gempaku (1733-1817), Maeno Ryotaku (1723-1803), Nakagawa Jun’an (1739-1786), et Katsuragawa Hoshu (1751-1809). Le frontispice de l’ouvrage est copié du Vivae Imagines Partium Corporis Humani publié par l’espagnol Juan Valverde de Amusco (1525-1587) en 1572. Les planches, gravées sur bois par Odano Naotake (1749-1780), un élève de Hiraga Gennai (1728-1780), sont reprises de plusieurs classiques occidentaux, tels Godfried Bidloo, Johann Vesling, Jean Palfyn, Caspar Bartholin et Steven Blankaart.

 

170 Frontispice

Frontispice du Kaitai Shinshô

_______________________________________________________________________________________________________________________________

Les influences furent donc multiples, mais la pierre angulaire de cette traduction fut sans conteste le Ontleedkundige Tafelen de l’anatomiste de Breslau Johann Adam Kulm (1689-1745), publié à Amsterdam en 1734.

Par soucis d’honnêteté envers l’Allemagne, et sans rien retirer pour autant à la Hollande, rappelons tout de même que ce livre de 1734 est en fait la traduction hollandaise d’un livre allemand, le Anatomische Tabellen, publié à Dantzig en 1722. Rendons à César ce qui lui appartient.

 

Notes

1 Frédéric L. (1996) Le Japon. Dictionnaire et civilisation. Paris, Robert Laffont, p. 720.

2 Rappelons ici qu’en Japonais, le nom de famille précède le prénom.

3 Hérail F. (Ed.) (2009) L’Histoire du Japon des origines à nos jours. Paris, Hermann Éditeurs, tout particulièrement pp. 598-609.

4 Clavreuil B. (2001) Bibliothèque sino-japonaise de Jean Blondelet. Catalogue de vente, Espace Tajan, Paris, pp. 16-18.

5 Wagenseil F. von (1959) Die Drei Ersten unter Europaeischen (Hollaendischem) Einfluss Entstandenen Japanischen Anatomie-buecher. Sudhoff Archiv für Geschichte der Medizin und der Naturwissenschaften 43 : 61-85.

6 Huard P., Ohya Z., Wong M. (1974) La médecine japonaise des origines à nos jours. Paris, Roger Dacosta, p. 57.

7 Russell K.F. (1991) A Bibliography of Johann Remmelin the Anatomist. Melbourne (St Kilda), the Author, pp. 71-72.

8 Olry R., Motomiya K. (1997) Dutch Influence on the Japanese Neuroanatomy in the Eighteenth Century: from Johann Adam Kulm's Ontleedkundige Tafelen to Gempaku Sugita's Kaitai Shinsho. 2nd Annual Meeting Society for the History of the Neurosciences, Leyde, Netherland. Abstract in J Hist Neurosci 7 (1): 69, 1998.

9 Un exemplaire fut adjugé pour 23000 US$ en 1998. Voir Christie’s (1998) The Haskell F. Norman Library of Science and Medicine. New York, vol. 2, No. 576, p. 261.

 

Suggestion de lecture

Lukacs G. (2008) Kaitai Shinshô, the Single Most Famous Japanese Book of Medicine & Geka Soden, an Early Very Important Manuscript on Surgery. Leiden, Brill, Hes & De Graaf.

Pour nous joindre

Département d'anatomie
Pavillon : Léon-Provancher
Local : 3501
Téléphone : 819 376-5011 poste 3584
Télécopieur : 819 376-5039
Site web : www.uqtr.ca/anatomie
Courriel : secretariat.anatomie@uqtr.ca 

logo UQTR