Département d'anatomie
Anecdotes anatomiques

Avant de vouloir la lui vendre, encore faudrait-il savoir où la trouver!

Regis   Régis Olry, professeur titulaire, Département d’anatomie 

Vendre quoi et à qui? Tout le monde l’aura compris : vendre son âme au Diable. Nous ne parlerons bien sûr pas de celui-ci, mais plutôt de celle-là. Car si l’âme se prête depuis des siècles à toutes sortes d’hypothèses — rappelons-nous qu’en 1907, le médecin américain Duncan MacDougall (ca. 1866-1920) défrayait la chronique en affirmant non seulement que l’âme existe, mais en outre en estimant son poids à 21 grammes 1 —, elle suscita également la curiosité des anatomistes, non pas tant par sa nature que dans les débats entourant sa localisation dans le corps humain.

168 NYT

Article du New York Times, 11 mars 1907

_______________________________________________________________________________________________________________________________

Cœur ou estomac?

Les théories aristotéliciennes attribuent au cœur le privilège de renfermer l’âme 2, comme on peut le voir sur un dessin 3 de l’Epitomate de Gerhard von Harderwyk (?-1503) publié le 29 février 1496. Le Toscan Andrea Cesalpino (1519-1603) adhère à cette hypothèse en écrivant que le cœur, étant le premier organe à apparaître lors de l’embryogénèse, et l’embryon ayant bien sûr besoin d’une âme pour se développer, celle-ci ne peut donc que se situer dans le cœur 4. Mais l’anatomiste belge Johan Baptist van Helmont (1577-1644) réfute cette hypothèse en arguant du fait qu’ : « il est impossible que l’âme puisse demeurer tranquille dans une partie si inquiète, & agitée d’un mouvement continuel » 5; selon lui, « l’orifice supérieur de l’estomac [est le véritable] siège de l’âme » 6.

 

Nerfs, cerveau ou méninges?

Si certains, comme le Sieur de La Chaume, affirment que « les nerfs sont les véritables organes de l’âme » 7, c’est quelque part dans le cerveau que celle-ci va de plus en plus souvent — à juste titre ou non est une autre question — se voir placée. Ainsi le célèbre René Descartes (1596-1650) qui, dans Les Passions de l’âme, écrit à l’article XXXII : « La raison qui me persuade que l’âme ne peut avoir en tout le corps aucun autre lieu que cette glande [l’épiphyse, ou glande pinéale] est que je considère que les autres parties de notre cerveau sont toutes doubles » 8. L’âme devant être une et indivisible, elle ne pouvait habiter qu’une structure cérébrale impaire et médiane. Le corps calleux, pour ne citer qu’un autre exemple, répond lui aussi à cette obligation : le médecin italien Giovanni Maria Lancisi (1654-1720) y localise d’ailleurs l’âme dans une dissertation de 1710 9. Mais il semble que Descartes ait, à tort donc, considéré l’épiphyse comme le seul constituant impair et médian du système nerveux central.

 

S’il est un médecin du XVIIIème siècle qui, selon un zeste d’Histoire noyé dans un étang de préjugés, est bien susceptible d’avoir vendu son âme au Diable, c’est assurément Jean-Paul Marat (1743-1793). Et pourtant, ce farouche (mais sincère!) révolutionnaire s’était lui aussi questionné sur la localisation anatomique de l’âme, et avait conclu que « c’est donc dans ces enveloppes [les méninges], où la sagesse éternelle a placé l’âme, et l’a unie à nos organes par des liens impénétrables » 10. Le docteur Marat préoccupé par l’âme : de quoi revisiter l’historiographie révolutionnaire!

 

Notes

1 MacDougall D. (1907) Hypothesis Concerning Soul Substance Together with Experimental Evidence of the Existence of Such Substance. American Medicine, New Series 2 (4): 240-243.

2 Clarke E. (1963) Aristotelian concepts of the form and functions of the brain. Bulletin of the History of Medicine 37: 1-14.

3 Voir Clarke E., Dewhurst K. (1984) Histoire illustrée de la fonction cérébrale. Paris, Roger Dacosta, p. 24.

4 Masson J.-L. (1976) Les localisations anatomiques de l’âme à traverse l’histoire. Lyon, Thèse Médecine, p. 105.

5 Helmont J.B. van (1670) Traité de l’âme. In : Les Œuvres. Lyon, Jean Antoine Huguetan & Guillaume Barbier, p. 223.

6 Ibid., pp. 223-224.

7 La Chaume de, Sieur (1680) Traité de médecine. Auxerre, Paris, Sébastien Cramoisy, pp. 20-21.

8 Descartes R. (1967) Œuvres. Publiées par Charles Adam & Paul Tannery. Paris, Librairie philosophique J. Vrin, vol. 11, pp. 352-353.

9 Cité par Haller A. von (1774) Bibliotheca anatomica. Tiguri, apud Orell, Gessner, Fuessli, et Socc., vol. 1, p. 810.

10 Coquard O. (1993) Marat. Paris, Fayard, p. 67.

 

Suggestion de lecture

Corner G.W. (1919) Anatomists in search of the soul. Annals of Medical History 2: 1-7.

Pour nous joindre

Département d'anatomie
Pavillon : Léon-Provancher
Local : 3501
Téléphone : 819 376-5011 poste 3584
Télécopieur : 819 376-5039
Site web : www.uqtr.ca/anatomie
Courriel : secretariat.anatomie@uqtr.ca 

logo UQTR