Département d'anatomie
Anecdotes anatomiques

Olécrâne et patella seraient-ils donc cousins?

Regis   Régis Olry, professeur titulaire, Département d’anatomie 

L’anatomiste et chirurgien hollandais Peter Camper (1722-1789) su faire preuve d’un impressionnant éclectisme: anatomie de l’oeil, anatomo-pathologie générale, anatomie comparée (éléphant, orang-outan), formation des cals osseux, physiognomonie et craniométrie (angle de Camper), hernies (fascia de Camper), et même forme idéale des souliers, rien ou presque n’échappa à sa curiosité. En témoignent les presque trois pages à lui consacrées — ce qui est exceptionnel — par l’incontournable biographe August Hirsch 1. Le travail de Camper qui nous intéresse aujourd’hui est une dissertation sur les fractures de l’olécrâne et de la patella 2, et, plus précisément, la raison pour laquelle ces deux pièces osseuses y sont associées.

167 Camper 

Portrait de Peter Camper par Johann Heinrich Wilhelm Tischbein (1751-1829),

1788, Groningen, University Museum.

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L’olécrâne serait-il une patella soudée à l’ulna?

La « Bible » des anatomistes, dès son édition princeps de 1858, en évoque la possibilité : « The Olecranon process, in its structure as well as in its position and use, resembles the Patella in the lower limb; and, like it, sometimes exists as a separate piece, not united to the rest of the bone” 3. Toutefois, la plupart des observations d’un olécrâne indépendant du reste de l’ulna — celles de Chenal 4,  Pfitzner 5, Krause 6 parmi d’autres — font état d’un os sésamoïde situé au-dessus, et non à la place, de l’olécrâne. C’est peut-être ce sésamoïdes qu’il conviendrait de regarder comme un éventuel vestige de patella.

 

La patella serait-elle un olécrâne détaché du tibia?

Cette hypothèse n’est qu’exceptionnellement soulevée. L’anatomiste allemand Samuel Thomas Soemmering (1755-1830) en effleure à peine l’idée en écrivant que la patella « est une sorte d’appendice mobile du tibia, et jusqu’à un certain point l’analogue de l’olécrâne » 7. Quant au célèbre anatomiste et paléontologue britannique Richard Owen (1804-1892), il semble privilégier une certaine homologie entre l’olécrâne et, non pas la patella, mais l’os sésamoïde rencontré parfois dans le chef latéral du muscle gastrocnémien et connu sous le nom de fabella 8.

 

Un quadriceps brachial ancêtre de l’actuel triceps?

L’existence de faisceaux musculaires surnuméraires transformant parfois le muscle triceps brachial en un semblant de quadriceps est bien documentée: ce quatrième chef peut prendre origine sur la scapula (bord latéral ou processus coracoïde), l’humérus (au dessous du tubercule mineur), ou même la capsule de l’articulation scapulo-humérale 9. Mais un autre muscle, cette fois constant, a peut-être sa place ici: le muscle anconé. Plusieurs de ses caractéristiques semblent effectivement confirmer l’hypothèse soulevée dans le titre de ce paragraphe: 1) le muscle anconé peut être plus ou moins étroitement fusionné avec le vaste latéral du triceps brachial, disposition considérée même par certains comme « ordinaire » 10, 2) il partage un nerf commun avec le vaste médial de ce muscle 11, 3) son action est identique à celle du triceps, et 4) son insertion humérale se fait « par un tendon bien distinct, en arrière du tendon commun aux autres muscles épicondyliens » 12.

 

Si l’on considère encore aujourd’hui que le muscle anconé « kann als vierter Kopf des M. triceps brachii angesehen werden (peut être considéré comme un quatrième chef du muscle triceps brachial » 13, l’olécrâne peut dès lors légitimement être déclaré cousin de la patella.

 

Notes

1 Hirsch A. (1884) Biographisches Lexicon der hervorragenden Aerzte aller Zeiten und Völker. Wien und Leipzig, Urban & Schwarzenberg, vol. 1, pp. 651-653.

2 Camper P. (1789) Dissertatio de Fractura Patellae et Olecrani, figuris illustrata. Hagae Comitum, Isaacum van Cleef.

3 Gray H. (1858) Anatomy, Descriptive and Surgical. London, John W. Parker and Son, p. 98.

4 Chenal W. de la (1776) Observationes botanico-medicae. Basileae.

5 Pfitzner W. (1900) Beiträge zur Kenntnis des menschlichen Extremitätenskeletts. Zeitschrift für Morphologie und Anthopologie 2: 77-157.

6 Krause W. (1909) Skelet der oberen und unteren Extremität. Jena, Gustav Fischer, p.123.

7 Soemmering S.T. (1843) Traité d’ostéologie et de syndesmologie. Paris, J.-B. Baillière, p. 168.

8 Owen R. (1849) On the Nature of Limbs. London, John van Voorts, p. 109.

9 Testut L. (1884) Les anomalies musculaires chez l’homme expliquées par l’anatomie comparée. Paris, G. Masson, pp. 416-419.

10 « Son bord supérieur, qui est droit, se confond ordinairement avec le ventre externe du triceps brachial » : Meckel J.-F. (1825) Manuel d’anatomie générale, descriptive et pathologique. Paris, J.-B. Baillière, vol. 2, p. 167.

11 Paturet G. (1951) Traité d’anatomie humaine. Tome II. Membres supérieur et inférieur. Paris, Masson & Cie,  pp. 461-462.

12 Rouvière H. (1979) Anatomie humaine. Descriptive, topographique et fonctionnelle. Paris, Masson, 11ème édition, vol. 3, p. 118.

13 Tillmann B., Töndury G. (1987) Anatomie des Menschen. Lehrbuch und Atlas. Band I. Bewegungsapparat. Stuttgart, New York, Georg Thieme, p. 390.

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