Cadavre exquis

   Régis Olry, professeur titulaire, Département d’anatomie 

Le Cadavre exquis est un jeu d’écriture ou de dessin inventé vers 1925 par la fameuse « bande de la rue du Château » ¹: le peintre surréaliste Yves Tanguy, le poète Jacques Prévert, et Marcel Duhamel, créateur de la Série noire chez Gallimard. Ce jeu consiste à faire composer une phrase ou un dessin par plusieurs personnes successives, sans qu’aucune d’elles ne sache ce qui vient d’être écrit ou dessiné. Le résultat peut effectivement être exquis — c’est de ce jeu qu’est né le tableau d’Yves Tanguy intitulé « Paysage surréaliste » en 1935 ² —, mais où est le cadavre?

Pour l’anatomiste, la rencontre avec un cadavre exquis est certes rare, mais pas impossible.

Un cadavre pas comme les autres

Automne 1917, laboratoire d’anatomie de la Faculté de Médecine de Paris. Un groupe d’étudiants se prépare à disséquer un cadavre qui vient d’être donné à l’Université.

Le corps en question est celui d’une femme de 41 ans dont la beauté s’impose encore au-delà du décès : grande (elle mesure 1,78 mètre), mince, les cheveux bruns et les yeux noirs, des seins minuscules, tout pour avoir su faire tourner nombre de têtes. Mais malheureusement, la peau douce et pâle de la belle est percée ça et là ³ de quelques trous de balles. Car c’est une victime de la justice française qui repose sur la table de bois graisseux : elle vient tout juste ⁴ de tomber devant un peloton d’exécution dans les fossés de Vincennes, sous les yeux de sœur Léonide qui l’accompagna jusqu’au bout. Et puisque personne n’avait réclamé son corps, elle devait terminer sous le scalpel des étudiants en médecine.

Étudiants en médecine pendant un cours de dissection (carte postale, vers 1910).

Un cadavre exquis

Les étudiants qui disséquèrent ce cadavre exquis ne surent probablement pas que cette femme était hollandaise, qu’elle s’appelait Margaretha Geertruida Zelle, mais que c’est sous le pseudonyme de Mata Hari que cette espionne maladroite et ingénue fut écrasée par la raison d’État… Ses restes reposent quelque part dans une fosse commune.

Notes

1 Béhar H. (1990) André Breton. Le grand indésirable. Paris, Calmann-Lévy, pp. 175-176.

2 Martin T. (2000) L’essentiel des surréalistes. Bath, Parragon, pp. 162-163.

3 Certains disent au niveau du cœur, d’autres au niveau de la tête.

4 Le 15 octobre 1917. Voir Thébaud F. (1994) La femme au temps de la guerre de 14. Paris, Stock / Laurence Pernoud, p. 72.