Tromperies d’éléphant

   Régis Olry, professeur titulaire, Département d’anatomie 

Parmi les nombreuses malformations congénitales répertoriées par les tératologues, la cyclopie est probablement l’une des plus impressionnantes. Intégrée habituellement dans un cadre malformatif plus vaste nommé holoprosencéphalie ¹, elle se caractérise par la présence d’un œil unique (ou de deux yeux fusionnés) au milieu du front, souvent surmonté d’une petite trompe ou proboscide ². Deux brefs détours par l’étymologie s’imposent.

Tout d’abord au sujet du terme cyclopie; celui-ci dérive du grec kuklos (cercle) et ôps (œil), ce qui ne manquera pas de surprendre le lecteur attentif car si le cyclope a donc un « œil circulaire », les yeux le sont tout autant lorsqu’ils sont au nombre de deux. Ensuite le terme proboscide: le grec encore, proboskis (trompe d’éléphant ou d’insecte), première allusion à un éventuel point commun entre le cyclope et l’éléphant.

Crâne d’éléphant. Noter le volumineux orifice nasal pris à tors pour une cavité orbitaire unique.

Mais les éléphants actuels ont eux aussi leurs ancêtres dans le bestiaire de la préhistoire. Plus petits, d’où leur nom d’« éléphants nains » ⁷, ils disparurent il y a un peu plus de 10 000 ans. Or, parmi eux figurait le Palaeoloxodon mnaidriensis, ou plus simplement éléphant de Sicile, car c’est effectivement sur cette île de la Méditerranée qu’il vécut, et que donc furent découverts ses ossements ⁸.

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Contrairement aux Cyclopes mythologiques, qui n’ont rien à voir avec les éléphants et n’ont en outre jamais existé, les cyclopes humains sont une réalité mais, par chance pourrions-nous dire, cette malformation majeure est non viable, à peine quelques heures de survie ont pu être observées par Vallentini (73 heures) et Blok (6 ou 7 heures) à la fin du XIXème siècle ⁹. Le seul point commun qu’ils partagent avec les éléphants n’est pas leur orbite unique — erreur de naturaliste par trop pressé d’accréditer une légende — mais le seul fait que les uns comme les autres possèdent une proboscide.

Notes

1 Défaut de développement du prosencéphale (cerveau antérieur) et de la région médiane de la face (Moore K.L., Persaud T.V.N. [2003] The Developing Human. Clinically Oriented Embryology. Philadelphia, Saunders, pp. 468 et 470).

2 La proboscide se retrouve également comme motif héraldique de cimier (Galbreath D.L., Jéquier L. [1977] Manuel du blason. Lausanne, Spes, nouvelle édition, fig. 469, p. 176).

3 Commelin P. (1960) Mythologie grecque et romaine. Paris, Garnier Frères, pp. 149-151.

4 Selon certains, le nom Polyphème dériverait du grec polus (beaucoup) et phémis (renommée).

5 Quatre compagnons d’Ulysse avaient été dévorés par le Cyclope (Anonyme [1783] Nouveau dictionnaire historique. Caen, G. Le Roy, vol. 7, p. 177).

6 Homère (2004) Iliade. Odyssée. Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », p. 675.

7 Nain étant bien sûr très relatif : celui qui nous concerne aujourd’hui mesurait tout de même 2 mètres de hauteur au garrot, soit la moitié de l’éléphant d’Afrique.

8 Adams A.L. (1874) On the dentition and osteology of the Maltese fossil Elephants, being a description of remains discovered by the author in Malta between the years 1860 and 1866. Transactions of the Zoological Society of London 9 (1): 1-124.

9 Gould G.M., Pyle W.L. (1984) Anomalies and curiosities in medicine. Albany, The Stuyvesant Publishing Co. (adaptation française sous le titre : Les curiosités médicales. Monaco, Sip), p. 318.