Département d'anatomie
Anecdotes anatomiques

Controverses autour d’une corne

Regis   Régis Olry, professeur titulaire, Département d’anatomie 

    

Sachant qu’il est anatomiquement impensable mais métaphoriquement possible d’avoir l’estomac dans les talons, pourquoi ne pourrait-on avoir par exemple un hippocampe dans le cerveau? C’est effectivement le cas depuis que l’anatomiste Bolognais Giulio Cesare Aranzi (1530-1589) a écrit en 1587 : « … quae Hippocampi, hoc est marini equuli effigiem refert » 1. Bien que l’auteur ait également proposé la comparaison à un ver à soie 2, c’est le petit et si charmant cheval de mer qui va s’imposer dans la terminologie neuroanatomique.

 

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Première controverse autour d’une corne : celle de bélier

Le célèbre Jacques-Bénigne Winslow (1669-1760) compare l’hippocampe cérébral à une corne de bélier : « Les ventricules latéraux […] vont de devant en arrière, en s’écartant de plus en plus l’un de l’autre, & en se rétrécissant. Ensuite ils se recourbent en dessous, reviennent obliquement de derrière en devant par un contour semblable à celui de cornes de bélier » 3. L’image n’est pas fausse, mais le chirurgien François-Sauveur Morand (1697-1773) la réfute : il considère d’une part qu’inclure une corne (de bélier) dans une autre corne (temporale du ventricule latéral) sème une inutile confusion. D’autre part, il fait remarquer qu’une corne de bélier s’effile en direction de sa pointe, alors que c’est l’inverse pour l’hippocampe 4.

 

Seconde controverse autour d’une corne : celle d’Amon

La première mention écrite de ce terme que nous pouvons documenter se trouve dans le traité de splanchnologie du chirurgien René-Jacques Croissant de Garengeot (1688-1759) : « On prétend que cette pointe mousse fait un petit contour à son extrémité, comme font les extrémités des cornes de bélier, et c’est pour cette raison qu’on les [les hippocampes, N.d.A.] nomme alors cornes d’Ammon » 5. La tournure de phrase nous fait penser que le terme corne d’Ammon 6  était déjà en usage en 1742 — mais alors qui l’a créé? —, quoique nous ne puissions en nier formellement la paternité à Croissant de Garengeot.

 

Par contre, une chose est sûre : c’est bien au dieu égyptien Amon 7 que fait référence le terme, et non pas à l’ophtalmologiste allemand Friedrich August von Ammon (1799-1861), bien que certaines sources — et non des moindres! — perpétuent encore aujourd’hui cette erreur 8. Mais il est vrai que par un curieux hasard, le dieu Amon s’était vu attribuer le pouvoir d’un « médecin rendant la vue à l’œil sans remèdes » 9. Ceci explique peut-être cela…

 

 

Notes

1 Aranzi G.C. (1587) De humano foetu liber tertio editus, ac recognitus. Ejusdem Anatomicarum observationum liber: ac de tumoribus secundum locos affectos liber nunc primum editi... Venetiis, apud Jacobum Brechtanum.

2 Voir par exemple Engelhardt E. (2016) Hippocampus discovery. First steps. Dementia e Neuropsychologia 10 (1) : 58-62.

3 Winslow J.-B. (1732) Exposition anatomique de la structure du corps humain. Paris, Guillaume Desprez et Jean Desessartz, p. 618.

4 Morand F.-S. (1744) Sur quelques parties du cerveau. In : Histoire de l’Académie royale des Sciences. Paris, Imprimerie royale, 1748, pp. 5-7.

5 Croissant de Garengeot R.-J. (1742) Splanchnologie, ou l’anatomie des viscères, avec des figures originales tirées d’après les cadavres, suivie d’une dissertation sur l’origine de la chirurgie. Paris, Osmont, 2ème édition, vol. 2, pp. 250-251.

6 Le terme se rencontre soit avec un « m », soit avec deux.

7 Amon, ou Amon-Rê, dieu égyptien de Thèbes, était parfois représenté sous forme d’une tête humaine avec des cornes de bélier enroulées autour des oreilles.

8 Garnier M., Delamare V., Delamare J., Delamare T., Delamare J. (2017) Dictionnaire illustré des termes de médecine. Paris, Maloine, 32ème édition,  p. 37.

9 Lalouette C. (1985) L’empire des Ramsès. Paris, Fayard, p. 447.

 

Suggestions de lecture

Lewis F.T. (1922-1923) The significance of the term Hippocampus. Journal of Comparative Neurology 35: 213-230.

Olry R. (1991) Métaphores zoologiques au sein des ventricules latéraux du cerveau, ou l’imagination au service de la linguistique. Histoire des Sciences médicales 25 (3) : 221-224.

 

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