Département d'anatomie
Anecdotes anatomiques

Dites-le avec des fleurs!

Regis   Régis Olry, professeur titulaire, Département d’anatomie 

    

Les dermatologues ont introduit quelques métaphores végétales dans leur nomenclature : le muguet, tapis de petites grappes de clochettes blanches créé, dit-on, par Apollon pour que les Muses ne se blessent pas les pieds en marchant, est devenu la forme aiguë des candidoses buccales. Le lichen, symbiose entre algues et champignons, désigne une dermatose caractérisée par la présence de papules, plus ou moins prurigineuses, évoluant vers un épaississement de la peau.

L’anatomie renferme elle aussi nombre d’allusions botaniques : tige (pituitaire), tronc (cérébral), arbre (de vie du cervelet), racines (ventrale et dorsale des nerfs spinaux), rameaux (musculaires du nerf ulnaire), écorce (cérébelleuse) 1, bourgeons 2, etc. Quatre vont nous occuper aujourd’hui : la rose, le bouquet, le trèfle et l’hymen.

 

120 Kukori

Maison de Toshiyuki Kuroki et sa femme Yasuko,

préfecture de Miyazaki, Japon.

 Rose de Sénac, bouquet de Riolan et trèfle de Winslow

Selon certains, le médecin jésuite Jean-Baptiste Sénac (1693-1770) aurait comparé à une rose la disposition de fibres musculaires superficielles de l’apex cardiaque. Nous n’avons malheureusement pas trouvé cette métaphore dans l’ouvrage concerné, Sénac y écrit par contre que ces fibres « forment une espèce de tourbillon » 3, image classiquement attribuée au chirurgien Pierre-Nicolas Gerdy (1797-1856). Mais l’allusion à des fibres ventriculaires disposées en « rose tournante » se trouve bel et bien dans un dictionnaire médical de 1868 4.

Le bouquet de Riolan est sensé faire référence à l’alternance des ligaments (blancs) et muscles (rouges) insérés sur le processus styloïde de l’os temporal; l’éponyme se trouve mentionné dans plusieurs sources a priori des plus fiables 5, 6. Mais là encore, l’attribution semble erronée car l’anatomiste Jean Riolan (1577-1657) n’a probablement jamais parlé de bouquet, tout au plus aurait-il décrit le ligament stylomandibulaire. Le lien qu’on a pu imaginer entre cette métaphore et un tableau représentant Jean Riolan avec un scalpel et une jacinthe relève lui aussi de l’imagination car « cette allégorie veut [seulement, N.d.A.] rappeler la double fonction de Jean Riolan, professeur de Botanique et d’Anatomie » 7.

Le trèfle de Winslow, centre tendineux du diaphragme avec ses trois folioles, a par contre été effectivement décrit sous ce nom par le célébrissime Jacques-Bénigne Winslow (1669-1760) : « Il [le centre tendineux, N.d.A.] est assez large, & représente en quelque manière une feuille de Trèfle […] dont la convexité moyenne serait tournée en devant, & l’échancrure en arrière » 8.

 

Une fleur que l’on peut perdre

Il est une membrane qui fait référence à «  la divinité de la Fable qui présidait aux mariages » 9 : cette membrane, tout comme la divinité en question, porte le nom d’hymen. Mais l’hymen est également assimilé à une fleur 10, d’où le verbe « déflorer », du latin deflorare (« ôter la fleur »), apparu en langue française vers 1437 11. Les allusions à cette ressemblance entre hymen et fleur sont nombreuses : le gentilhomme doit en effet conter « fleurette » avant d’espérer « déflorer »; la fleur petite pervenche se nomme « pucelage » dans le langage populaire 12; une espèce de plante de type chénopodium utilisée jadis en thérapeutique gynécologique est surnommée la vulvaire 13; enfin, un « subtil et poétique jeu de mots » 14 sur le latin fluere (« couler ») évoque ces anciennes fleurs qui éclosaient chaque mois sous forme de flux menstruel.

 

Dites-le avec des fleurs! C’est exactement ce que fit le japonais Toshiyuki Kuroki, âgé de 83 ans, en plantant pendant des années des dizaines de milliers de petites fleurs mauves parfumées pour sa femme Yasuko, aveugle depuis plus de 20 ans.

 

 

Notes

1 Voir Castan P. (1992) L’Anatomie masquée. Montpellier, pp. 55-58. Olry R. (1995) Sémantique anatomique. Un langage pour une science. Trois-Rivières, l’Auteur, pp. 99-105.

2 Les embryologistes en dénombrent pas mois de douze différents : bougeons hépatique, mammaire, mandibulaire, maxillaire, nasal externe, pancréatiques, trachéo-bronchique, urétéral, des membres, dentaires, faciaux, et nasaux internes (Poirier J., Catala M., Poirier I., Baudet J. [2005] Leçons d’embryologie humaine. Paris, Maloine, 4ème édition, pp. 321-322). Notons que tout ces bourgeons donnent naissance à une structure anatomique, alors que les bourgeons du goût génèrent une sensation.

3 Sénac J.-B. (1749) Traité de la structure du cœur, de son action et de ses maladies. Paris, Jacques Vincent, vol. 1, pp. 46 et 495.

4 Collectif (1868) Nouveau dictionnaire de médecine et de chirurgie pratique. Paris, J.-B. Baillière et fils, vol. 8, p. 270.

5 Donáth T. (1960) Erläuterndes anatomisches Wörterbuch. Terra Budapest, Verlag Medicina Budapest, p. 452.

6 Dobson J. (1962) Anatomical Eponyms. Edinburgh and London, E. & S. Livingstone Ltd., second edition, p.175.

7 Cordier G. (1955) Paris et les anatomistes au cours de l’Histoire. Paris, I.A.C., p. 30.

8 Winslow J.-B. (1732) Exposition anatomique de la structure du corps humain. Paris, Guillaume Desprez, pp. 233-234.

9 Allouel M. (1776) Explication des mots d’usage en anatomie et en chirurgie. Paris, Rémont, p. 65.

10 Froment A. (2013) Anatomie impertinente. Le corps humain et l’évolution. Paris, Odile Jacob, p. 216.

11 Bloch O., Wartburg W. von (2002) Dictionnaire étymologique de la langue française. Paris, Quadrige/PUF, p. 182.

12 Zylberstein J.-C. (1996) Dictionnaire des mots rares et précieux. S.l., Éditions 10/18, p. 270.

13 Id., op. cit., p. 338.

14 Pagès F. (1983) Au vrai chic anatomique. Paris, Éditions du Seuil, p. 40.

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