Département d'anatomie
Anecdotes anatomiques

Bris de jambe, bris de carrière?

Regis   Régis Olry, professeur titulaire, Département d’anatomie 

    

Une jambe cassée, un plan de carrière qui s’envole. Mais une porte qui se ferme en fait parfois curieusement ouvrir une autre : l’Histoire nous montre en effet que boiter n’est pas nécessairement un obstacle à la réussite.

 

Quelques exemples éloquents hors du domaine de la médecine pour commencer.

Vers 1650, en la ville de Tours. Une petite fille tombe et se fracture la cheville en voulant jouer à sauter sur le dos d’un âne. Mal soignée, « elle en gardera toujours une légère boiterie » 1. Mais cela n’empêchera pas la jeune Françoise Louise de La Baume Le Blanc — c’est son nom — de devenir en Juillet 1661 2 favorite du roi  Louis XIV, sous le nom de duchesse de Vaujours et de La Vallière.

Mai 1780, à Philadelphie. L’avocat américain Gouverneur Morris a sa jambe gauche broyée sous les roues d’un  fiacre alors qu’il fuit « précipitamment devant l’arrivée inopinée d’un mari » 3. Amputé sous le genou et affublé d’un modeste pilon de bois, il n’en deviendra pas moins grand ami de George Washington, brillant diplomate, et le seul ministre étranger à être resté en France durant toute la Terreur.

1758, dans un faubourg de Paris. Un enfant de 4 ans, prénommé Charles-Maurice, tombe d’une commode par négligence de sa gardienne qui n’ose en parler que plusieurs mois plus tard 4. Le mal est fait, la victime en fera mention dans ses Mémoires : « le mal que j’avais au pied m’empêchant de servir dans l’armée, je devais nécessairement entrer dans l’état ecclésiastique » 5. Talleyrand, l’inénarrable Talleyrand, voulait manier l’épée, il devra se contenter du goupillon. Mais quelle carrière ensuite, de sa nomination comme évêque le 2 novembre 1788 à sa mort le 17 mai 1838! Tantôt ministre, tantôt diplomate, mais toujours visionnaire comme peu de gens l’ont été 6, une carrière à faire pâlir d’envie un Henry Kissinger!

 

Mais revenons maintenant à l’anatomie.

 

Philip Verheyen voulait rentrer dans les ordres, il sera anatomiste

Philip Verheyen est né le 23 avril 1648 à Verrebroek, petit village du comté de Flandres d’à peine 250 âmes. D’origines modestes — ses parents Thoma Verheyen et Joanna Goemans travaillent la terre —, le jeune Philippe se destine à une carrière ecclésiastique dont il commence brillamment les études lorsque, probablement en 1677, une sévère infection de la jambe gauche impose l’amputation : adieu donc le clergé, Philip se tourne vers la médecine où ses talents d’anatomiste sont, là aussi, très vite reconnus, bien que parfois quelque peu entachés de références bibliques. Il meurt le 28 janvier 1710, de fièvre typhoïde selon certains 7, 8.

 

Un grand anatomiste

La carrière anatomique de Philip Verheyen est impressionnante. Ses titres : docteur, professeur, Rector Magnificus ; le succès des nombreuses éditions et traductions de son traité d’anatomie (1693, 1697, 1699, 1704, 1705, 1708, 1710, 1711, 1712, 1714, 1717, 1718, 1722, 1726, 1731, 1734); la création du terme « tendon d’Achille » (« Vocatur passim chorda Achillis » 9); la découverte des veines étoilées à la surface du rein (« quasi stellulas repraesentant » 10). Rien d’étonnant donc à ce qu’il figure parmi les 236 statues de l’Hôtel de Ville de Louvain.

 

Le plagiat : preuve ultime de la célébrité?

Une peinture à l’huile, anonyme et non datée, représente Philip Verheyen en train de disséquer sa propre jambe car, selon ce qui n’est toutefois probablement qu’une légende, il aurait conservé sa jambe amputée pour pouvoir un jour en faire la dissection lui-même. Si l’anecdote est invérifiable, le tableau est par contre évidemment un pastiche : il suffit, pour s’en convaincre, de comparer le visage et les mains du soi-disant Philip Verheyen avec, sur la célèbre toile de Rembrandt, les mains du docteur Tulp et le visage (inversé) du personnage le plus penché sur le cadavre.

 112 verheyen

Philip Verheyen disséquant
sa propre jambe amputée (?)

 112 rembrandt

La Leçon d’anatomie du professeur Tulp
(Rembrandt, 1632, Mauritshuis, La Haye).


 

Notes

1 Moyne C. (1978) Louise de la Vallière ou le Roi favori. Paris, Librairie Académique Perrin, pp. 18-19. La duchesse, par choix, vivra ses 36 dernières années au Carmel, sous le nom de Louise de la Miséricorde.

2 Bluche F. (1986) Louis XIV. Paris, Fayard, p. 389.

3 Fiechter J.-J. (1983) Un diplomate américain sous la Terreur. Les années européennes de Gouverneur Morris 1789-1798. Paris, Fayard, p. 25.

4 Waresquiel E. de (2003) Talleyrand. Le prince immobile. Paris, Fayard, p. 39. Certains historiens évoquent davantage un cas de pied-bot varus équin congénital, mais ce n’est pas ici la place de conclure définitivement cette question historico-médicale.

5 Talleyrand C.-M. de (1989) Mémoires. Paris, Jean de Bonnot, vol. 1, p. 19.

6 Il est bien sûr  impossible de détailler en si peu de place l’exceptionnelle carrière de Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord.

7 Verheyen P. (1710) Corporis Humani Anatomiae Liber Primus. Bruxellis, Apud Fratres t’Serstevens, editio secunda, Compendium vitae.

8 Hirsch A. (1888) Biographisches Lexicon der hervorragenden Aerzte aller Zeiten und Völker. Wien und Leipzig, Urban & Schwarzenberg, vol. 6, pp. 91-92.

9 Verheyen P. (1710) op. cit., p. 363.

10 Verheyen P. (1710) op. cit., p. 101.

 

Suggestion de lecture

Suy R. (2007) Philip Verheyen (1648-1710) and his Corporis Humani Anatomiae. Acta chir. Belg. 107: 343-354.

 

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