Département d'anatomie
Anecdotes anatomiques

Les deux frères Cloquet et leurs trois ganglions

Regis     Régis Olry, professeur titulaire, Département d’anatomie

 

Au moins 80 ganglions nerveux ou lymphatiques du corps humain portent, à tors ou à raison 1, le nom de leurs découvreurs. Et encore, pour ne citer que ceux définis dans notre thèse de doctorat 2. La chronique de ce jour nous amène à parler des ganglions de Cloquet, au nombre de trois, ainsi que des frères Cloquet, qui ne sont eux qu’au nombre de deux.

 

Le ganglion d’(Hippolyte) Cloquet

Hippolyte Cloquet est le fils aîné de Jean-Baptiste Cloquet, dessinateur de l’inspection générale des Échelles du Levant au service de la marine royale de Louis XVI. Né le 10 mars (ou le 17 mai) 1787 à Paris, il est docteur en médecine (1815), professeur agrégé d’anatomie (1823), publie de nombreux ouvrages — dont, en 1816, un Traité d’anatomie descriptive qui aura six éditions successives jusqu’en 1835 — et en traduit d’autres en français, parmi lesquels The modern practice of physic de l’anglais Robert Thomas et les Elementos de farmacia de l’espagnol Francisco Carbonell y Bravo. Il meurt à Paris le 3 mars 1840 3.

  

                                                                       Cloquet H    Hippolyte Cloquet (1787-1840)

 

En 1815, Hippolyte donne son nom à un ganglion nerveux qu’il décrit sur le trajet du nerf nasopalatin : « Ce ganglion, dont je ne sache pas qu’on ait encore parlé, est une petite masse rougeâtre, fongueuse, un peu dure et comme fibrocartilagineuse, plongée dans un tissu cellulaire graisseux, et située au milieu du canal palatin antérieur » 4. Trois ans plus tard, alors que certains nient l’existence de ce ganglion, il y revient dans son Mémoire sur les ganglions nerveux des fosses nasales : « je crois pouvoir confirmer, par quelques observations, l’existence contestée de celui-ci » 5.

L’existence de ce ganglion nasopalatin ne semble pas avoir pu être confirmée depuis 6. Pauvre Hippolyte qui, du fond de sa tombe, a vu reléguer sa chère découverte dans le placard des choses qui en réalité n’existent pas. Et comme, si l’on en croit La Complainte du poète Rutebeuf, un malheur n’arrive jamais seul, il a probablement aussi vu mourir à Téhéran son fils Louis-André-Ernest, victime malencontreuse d’un empoisonnement à la teinture de cantharide qu’il avait cru être un verre de Brandy.

 

Le ganglion de (Jules-Germain) Cloquet

Jules-Germain Cloquet est le jeune frère d’Hippolyte. Né à Paris le 27 décembre 1790, il est élève de l’École d’anatomie artificielle de Rouen (1806), reçu 10ème au concours de l’internat de Paris 7 (1811), docteur en médecine (1817), membre (1821) puis président (1864) de l’Académie de médecine et publie, sur une période de dix ans, un des trésors de l’illustration anatomique : 300 lithographies en 5 volumes in-folio 8. Il meurt à Paris le 23 février 1883 9.

 

                                                                  CloquetJj-G     Jules-Germain Cloquet (1790-1883)

  

En 1817, Jules-Germain donne lui aussi son nom à un ganglion, mais cette fois lymphatique, le plus proximal des ganglions lymphatiques inguinaux profonds : « Une de ces ouvertures [du septum crural, N.d.A.], plus grande que les autres, est centrale, traversée quelquefois par un ganglion lymphatique allongé » 10. Ce travail, qui constitue sa thèse de doctorat en médecine, repose sur 340 dissections!

Toutefois, écrire que « sa gloire posthume provenait d’un ganglion » 11 est par trop réducteur car Jules-Germain Cloquet fut bien plus qu’un anatomiste. Son curriculum vitae et laboris nous apprend effectivement qu’il fut médecin du marquis de La Fayette 12, chirurgien de l’empereur Napoléon III, et, qu’à l’occasion d’un inoubliable voyage qu’il fit en Corse en 1840, il était accompagné d’un jeune homme encore peu connu, un certain Gustave Flaubert 13.

 

Le ganglion de (quel?) Cloquet

Un troisième ganglion, nerveux de nouveau, porte le nom de Cloquet associé à celui de l’anatomiste allemand Herbert von Luschka : « Le nerf phrénique droit donne également quelques filets au ganglion semilunaire [coeliaque, N.d.A.] droit, avec un petit ganglion de Cloquet-Luschka sur son trajet abdominal terminal, après sa traversée diaphragmatique » 14. De quel Cloquet s’agit-il : Hippolyte ou Jules-Germain? Nous ne saurions y répondre car ni celui-ci 15 ni celui-là 16 n’y font clairement mention dans leurs traités respectifs.

 

 

Notes

1 Voir, par exemple, Olry R. (2014) Anatomical Eponyms, Part 1 : To Look on the Bright Side / Part 2 : The Other Side of the Coin. Clin. Anat. 27: 1142-1148.

2 Olry R. (1991) Dictionnaire critique des éponymes en anatomie. Nancy, Thèse médecine, 3 vols., 1189 pp. Pour les curieux (ou les sceptiques), voici ces éponymes : Adamuck, Andersch, Antonelli, Arnold, Auerbach, Axenfeld, Bardeleben et Haeckel, Baréty, Bartels, Blandin, Bochdalek, Bock, Boettcher, Broca, Corti, Cruveilhier, Ehrenritter et Müller, Elis, Engel, Faesbeck, Florence, Frankenhauser, Froehse, Froriep, Ganser, Gasser, Hügel, Kirmisson, Kohn, Kondratchew, Laffay, Lambmann, Langley, Laruelle, Laumonier,  Lee, Lefèvre, Letulle,  Leveuf et Godart, Lobstein, Lucas-Champonnière, Luschka, Mascagni, Meckel, Meynert, Mondor, Neubauer, Oelsner, Paladino, Parsons et Keith, Poirier et Cunéo, Quénu, Rainer, Ribes, Rosenmüller, Rotter, Rouvière, Sappey, Scarpa, Schacher, Schmiedel, Sledziewski, Soemmering, Sorgius, Sperino, Spiegel, Stahr, Svitzer, Takeda, Troisier, Valentin, Vergé-Brian, Walter, Willis, et Winterhalter.

3 Hirsch A. (1885) Biographisches Lexicon der hervorragenden Aerzte aller Zeiten und Völker. Wien und Leipzig, Urban & Schwarzenberg, vol. 2, pp. 39-40.

4 Cloquet H. (1815) Dissertation sur les odeurs, sur le sens et les organes de l’olfaction. Paris, imprimerie de Feugueray, p. 131.

5 Cloquet H. (1818) Mémoire sur les ganglions nerveux des fosses nasales. Paris, Migneret, p.15.

6 Au moins un autre médecin avait pourtant signalé ce ganglion, avant même Hippolyte Cloquet : Jacques-Louis Deschamps, à la page 25 de sa Dissertation sur les maladies des fosses nasales de 1804.

7 Le major de sa promotion est nul autre que le grand Jean Cruveilhier.

8 Cloquet J.-G. (1821-1831) Anatomie de l’homme, ou description et figures lithographiées de toutes les parties du corps humain. Paris, C. de Lasteyrie, 5 vols.

9 Saint-Restitut C. (1987) Jules Cloquet 1790-1883. Gazette médicale 94 (6) : 98-99.

10 Cloquet J.-G. (1817) Recherches anatomiques sur les hernies de l’abdomen. Paris, Méquignon-Marvis, p. 74.

11 Saint-Restitut C., Op. cit., p. 98.

12 Saint-Bris G. (1988) La Fayette. La Stature de la Liberté. Paris, Filipacchi, p. 353.

13 Dumesnil R. (1943) Gustave Flaubert. L’homme et l’œuvre. Paris, Nizet, p. 90.

14 Bigard M.A. (2003) Le reflux gastro-oesophagien : conceptions actuelles. Paris, John Libbey Eurotext, p. 15.

15 Cloquet J.-G. (1825) Manuel d’anatomie descriptive du corps humain. Paris, Béchet Jeune, vol. de texte, pp. 372-375.

16 Cloquet H. (1816) Traité d’anatomie descriptive. Paris, Crochard, vol. 2, pp. 703-709.

 

Suggestions de lecture

Cloquet G. (1909-1910) Jules Cloquet. Sa vie. Ses œuvres (1790-1883). Paris, thèse.

Genty M. (1933) Cloquet (Jules-Germain) (1790-1883). Les Biographies médicales 9 :261-276.

 

 

 

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