Département d'anatomie
Anecdotes anatomiques

Les pérégrinations du crâne de Descartes

Regis     Régis Olry, professeur titulaire, Département d’anatomie

 

Difficile d’oublier la scène finale du thriller américain Seven 1, lorsque l’inspecteur David Mills reçoit un petit colis contenant la tête de sa femme Tracy, décapitée par un tueur en série obsédé par les sept péchés capitaux.

Changement de décor et de distribution : nous ne sommes plus en 1995 mais en 1821, le naturaliste Georges Cuvier remplace Brad Pitt, et le colis, envoyé non plus par un psychopathe mais par le chimiste suédois Jacob Berzelius, renferme lui-aussi une tête, mais c’est le crâne décharné de René Descartes et non la tête sanguinolente de Gwyneth Paltrow.

Que fait donc le crâne du grand philosophe dans cette boîte? Et pourquoi ne pas y avoir joint le reste du son squelette? Parce que tel le roi de la Lune dans Les Aventures du Baron de Münchhausen, la tête de feu Descartes et le reste de son corps n’ont pas vécu les mêmes aventures post-mortem.

Descartes   René Descartes (1596-1650) par Frans Hals

La mort de Descartes

Milieu du XVIIème siècle, au pays d’Odin et de ses deux corbeaux 2. La plume de René Descartes séduit la toute jeune reine Christine de Suède qui, du haut de ses vingt ans, s’entiche des Principes du philosophe. Sa Majesté, toutefois, se contente d’en écouter les résumés lus par l’ambassadeur Pierre-Hector Chanut 3. Le charme opère tant et si bien que René Descartes est officiellement invité à se rendre à Stockholm. Le 1er septembre 1649, après vingt-et-une années de résidence en Hollande, Descartes boucle ses valises, prend le bateau, et arrive dans la capitale suédoise le 4 octobre suivant. Lui qui avait écrit qu’« [o]n ne peut douter qu’il n’y ait de la chaleur dans le cœur » 4, commence à douter que l’on puisse trouver la moindre chaleur dans le climat de ce pays décidément trop nordique. Très vite la froidure lui pèse, d’autant plus que les trois rendez-vous hebdomadaires avec la reine pour parler philosophie commencent dès potron-minet, 5 heures du matin pour être précis. Puisqu’on ne discute pas les exigences — et moins encore les caprices — d’une jeune souveraine, Descartes met un point d’honneur à se montrer ponctuel, et contracte une pneumonie qui l’emporte dans la nuit du 11 février 1650. Le corps du grand homme, modestement inhumé dans le cimetière des Innocents 5, va y reposer sereinement pendant seize ans. Et c’est alors que l’aventure commence.

 

Les pérégrinations de la noble dépouille

En 1666, la France veut rapatrier les restes du grand homme et confie cette mission au chevalier Hugues de Terlon, l’ambassadeur de France en Suède. Exhumation le 1er mai et direction Copenhague où les ossements de Descartes — moins un doigt que le chevalier, semble-t-il, s’est approprié en récompense de ses efforts — vont patienter trois mois. Le squelette quitte la capitale danoise le 2 octobre et, après traversée de la basse Allemagne, de la Hollande et de la Flandre, arrive à Paris début janvier 1667. On dépose le petit cercueil de cuivre 6 chez un certain d’Alibert, puis à peine quelques jours plus tard dans une chapelle de l’église Saint-Paul, puis entre deux confessionnaux de l’église Sainte-Geneviève (23 juin1667) où le grand philosophe peut enfin souffler quelques temps. En 1792, le corps est enlevé de l’église Sainte-Geneviève par le peintre Alexandre Lenoir qui le dépose au Jardin Élysée des monuments français, non loin de la dépouille d’un autre grand : Molière. Nouveau — et cette fois ultime — déménagement le 26 février 1819 : Descartes est déposé dans l’église Saint-Germain-des-Près, entre les deux bénédictins Jean Mabillon et Bernard de Montfaucon! On imagine aisément les grincements de mandibules! Sauf ceux de Descartes, car son crâne ne se trouve pas dans le cercueil.

 

Surprise!

Au printemps 1821, le grand naturaliste Georges Cuvier reçoit du chimiste suédois Jacob Berzelius un colis renfermant un crâne, présenté comme étant celui de René Descartes. Comment diable est-il arrivé là?

Isaac Plantström, officier des Gardes de la ville de Stockholm, l’avait discrètement subtilisé en 1666, lors de l’exhumation du corps. Le crâne était alors passé —vente, don, héritage, trouvaille, larcin? — entre de nombreuses mains, parmi lesquelles celles de l’écrivain Anders Anton von Stiernma, de l’évêque Olof Celsius, des dénommés Haegeflycht, Arckenholz, Fischerström, Ahlgren, Sparrman, et enfin d’un certain Arngren à qui Berzelius avait racheté la relique. Les pérégrinations n’en sont pas terminées pour autant. Le fameux crâne rejoint la collection anatomique du Jardin des Plantes, où le phrénologiste Franz Joseph Gall s’amuse à faire des comparaisons avec un autre crâne certes célèbre mais pas pour les mêmes raisons, celui du divin marquis… En 1878, la relique du philosophe se trouve exposée entre les crânes de deux assassins, Lacenaire et Cartouche. Descartes, maintenant qu’il a un crâne, peut-il grincer des dents? Non, car il n’a toujours pas sa mandibule 7. En 1913, Paul Richer étudie la boîte crânienne et, après analyse des portraits de Descartes et collaboration avec le fondateur de l’anthropométrie Alphonse Bertillon, confirme qu’il s’agit bel et bien de celle du philosophe.

 

Depuis 1937, le crâne de René Descartes repose dans un coffre-fort, quelque part dans un local souterrain du Musée de l’Homme, au Palais de Chaillot. Repos amplement mérité!

 

 

Notes

1 Seven, 1995, réalisé par David Fincher, New Line Cinema.

2 Odin, le plus ancien dieu de la mythologie scandinave, était effectivement toujours accompagné de deux corbeaux nommés Munen (Mémoire) et Hugen (Réflexion) qui l’informaient de tout ce qui se produisait sur la Terre.

3 Quilliet B. (2003) Christine de Suède. Paris, Fayard, p. 180.

4 Adam C., Tannery P. (1967) Œuvres de Descartes. Paris, Librairie philosophique J. Vrin, vol. XI, Description du corps humain, p. 228.

5 Ce cimetière a aujourd’hui disparu; à son emplacement se trouve l’église Adolf-Fredriks-Kyrka.

6 Hugues de Terlon avait effectivement commandé un cercueil de petite taille, ayant supposé que les os de Descartes seraient détachés les uns des autres lors de l’exhumation, et qu’ils pourraient donc, sans indécence, être empilés les uns sur les autres.

7 La mandibule de Descartes n’a jamais été retrouvée.

 

Suggestions de lecture

Cabanès A. (1943) Les vagabondages d’un crâne. In : Légendes et Curiosités de l’Histoire. Troisième Série. Paris, Albin Michel, pp. 301-325.

Comar P. (1997) Mémoires de mon crâne. René Des-Cartes. Paris, Gallimard.

Portier-Kaltenbach C. (2007) Le crâne de Descartes. In : Histoires d’os et autres illustres abattis. Paris, J.C. Lattès, pp. 23-40.

 

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