Le futur sera résineux
Branches de cèdre et corde de jute
Ma vision du futur est assez éloignée de la technologie très avancée souvent mise de l’avant dans la science-fiction. J’imagine plutôt un monde où tout ce qu’aura apporté l’industrialisation s’épuisera : nous subirons alors un retour forcé à la nature. Un monde où nous essaierions, tant bien que mal, de se réapproprier les savoirs nous permettant de survivre en forêt.
J’imagine donc un futur « résineux », plutôt austère. J’ai voulu exprimer à travers mon œuvre notre fragilité en tant qu’espèce. J’ai essayé de créer une sphère à partir de bois mort, afin de lui donner l’aspect rond de notre planète. À travers un processus très intuitif, se rapprochant d’un enfant qui joue, j’ai assemblé les branches afin de créer cet amas dense, à l’aide de corde de jute et d’une technique de brêlage, pour créer une œuvre 100 % compostable, qui sera installée en forêt.
Le résultat final se rapproche peu de l’idée que j’avais en tête en premier lieu, puisque je souhaitais créer une sphère. Cette difficulté dans la création m’a amené cette question plutôt philosophique : pourrons-nous nous adapter aux changements du futur si nous avons la rigidité du bois mort? La rigidité dans nos habitudes de vie nous permettra-t-elle de s’adapter aux défis du futur? Laissant l’œuvre évoluer au gré des interventions, je me suis retrouvée devant un résultat plutôt lugubre. Créant une image plutôt fataliste du futur, j’ai ajouté des cordes de jute vertes, symbolisant la vie au travers de la planète. Force est d’admettre que cette vie nous glisse entre les doigts en ce moment, comme les fils à travers les branches de la sculpture.
Réparation
Installation - pin blanc et corde
L’idée de cette installation m’est venue pendant une promenade en forêt, où j’ai remarqué un arbre à 3 troncs. L’image mentale que nous avons généralement en pensant à un arbre est plutôt celle d’un tronc unique, solide et droit, d’où foisonnent les branches en hauteur. Cet arbre ne correspondait pas à cette image et m’a ramené à ma propre image de moi-même et à ma vulnérabilité. Nous souhaitons tous être un arbre au tronc droit, fort, mais qu’en est-il réellement? Ne sommes-nous pas, en réalité, un amalgame de fragments de nous-mêmes? Comme si à chaque blessure, une partie de nous-même se détachait… et que nous devions continuellement nous réparer et recoller nos morceaux pour avancer dans la vie. Tenter, tant bien que mal, d’être un bel arbre, malgré les cicatrices. Ces cicatrices, qui peuvent se retrouver au cœur d’un individu, mais aussi d’une société : il nous suffit de penser à nos relations avec les peuples autochtones ou avec la nature, par exemple. Le morcellement et nos tentatives de réparations se retrouvent un peu partout autour de nous.
La réparation est évoquée ici par une aiguille de couture géante et un fil rouge. L’aiguille a été sculptée dans une branche de pin blanc et sa finition est très brute : il n’était pas question ici de créer une aiguille au fini parfait, qui soit réaliste, mais bien de créer une aiguille de fortune. De se contenter de nos outils intérieurs. Ce détail, et l’œuvre dans son ensemble, évoque dont une réparation, mais aussi une maladresse. Parce que, même avec nos bonnes intentions, nous sommes maladroits. « Faire de notre mieux », est-ce suffisant?
Forêt-maison
Installation – Sculpture de laine feutrée au creux d’un érable mort
Comme pour les projets précédents, j’ai eu envie d’intégrer mon œuvre à la forêt: je suis donc partie à la recherche d’espaces clos en allant marcher en nature. Je me suis trouvée face à différentes cavités dans les arbres, mais une de ces cavités m’a tout particulièrement attirée par sa forme, sa taille et sa disposition. Elle était située à hauteur des yeux et avait un fond plat. J’y ai tout de suite vu une maison, rassurante, chaleureuse. J’ai eu envie d’y voir un animal s’y blottir, sans tracas, en sécurité, paisible.
J’ai décidé d’utiliser la laine feutrée pour créer cet animal, puisque ce matériau évoque la douceur et la chaleur. De plus, le résultat fait penser à une peluche, ce qui évoque l’innocence de l’enfance. Celui-ci dort, blotti dans le ventre de sa mère (l’arbre). Il ne se doute pas que l’hiver arrivera. Il est dans l’instant présent.
L’enfant est aussi évoqué dans le fait qu’un animal soit représenté, puisque comme celui-ci, l’enfant est plus près de ses pulsions et d’une liberté d’être que l’adulte, qui apprend à se conformer et à agir selon l’ordre établi. J’essaie de retrouver cet enfant intérieur dans ma démarche, afin de m’offrir plus de liberté de pensée et d’action dans la création. Je vois dans l’idée de cacher des œuvres en forêt une sorte de libération de l’enfant intérieur, celui qui veut jouer des tours et faire sourire.
Finalement, je trouve qu’il y a quelque chose de très poétique à faire d’un arbre mort sa maison. Une façon de saisir l’opportunité, de transformer ce qui est mort en vivant. Un acte de résilience, un espoir. Une naïveté qui fait du bien.
Sans vergogne
Bois de tilleul et teinture végétale
Cet œuvre se veut une ode à l’interconnexion agissant entre tous les êtres vivants. C’est à travers une bûche de tilleul, encore bien visible, que la bête a été sculptée. On y voit la subtilité de l’écorce, les couches qui la composent, les canaux qui servaient à transporter la sève, un peu à la manière de nos propres vaisseaux sanguins. Les coups de gouges et des ciseaux à bois se devinent à travers un fini brut, mettant en lumière la connexion de l’œuvre à l’artiste. Continuant dans ce fin équilibre où chacun joue son rôle, la sculpture est placée sur un tapis de sapin, entourée d’une fourrure de lièvre : cette disposition met en relation l’imaginaire et le concret, l’émotionnel et le rationnel. On pourrait penser que l’animal vient de manger le lièvre, d’où son sommeil repu, sans vergogne. Il accepte la place qui lui est due dans la nature et peut enfin dormir.
J’aimerais parfois que l’humain prenne sa place dans la nature, nos sociétés occidentales essayant par tous les moyens d’établir une relation de domination plutôt qu’une relation de respect. Il s’ensuit un grand détachement, un déni collectif. C’est normal : comment regarder en face ce que nous détruisons chaque jour? Comment s’avouer que la douleur infligée, nous nous l’infligeons à nous-mêmes? J’ai donc tenté, à travers ce travail de création, d’exprimer un souhait. Celui de prendre place au sein d’un écosystème. J’ai, pour ce faire, utilisé seulement des outils à main, sans moteur. J’ai sculpté avec mon humilité d’humain et j’ai préparé des teintures végétales pour ajouter de la couleur. Je vis dans l’espoir, qu’un jour, l’interconnexion avec la nature sera dans nos priorités et que nous vivrons, nous aussi, sans vergogne.