Le système de chaîne de blocs a révolutionné l’univers numérique avec ses attributs de décentralisation, d’immuabilité et de transparence et a rapidement eu un impact sur une multitude de secteurs, au-delà de la cryptomonnaie, qui, jusque-là, avait été son principal domaine d’activité. Ce système fonctionne comme un registre distribué et immuable, où les transactions sont regroupées en blocs, chacun contenant un horodatage, des données transactionnelles et un lien cryptographique avec le bloc précédent, formant ainsi une chaîne sécurisée. Bien que cette structure assure la transparence et l’intégrité des données, elle complique l’identification des individus impliqués dans des activités criminelles, car les transactions y sont souvent effectuées en utilisant des pseudonymes. Ainsi, l’absence de liens directs entre les adresses de chaîne de blocs et les identités réelles rend difficile leur traçabilité sans recourir à des techniques d’analyse avancées. La surveillance et l’enquête d’activités suspectes sur de tels réseaux sont donc, sans grandes surprises, très fastidieuses et les techniques traditionnelles d’enquêtes sont inadéquates pour faire face à ces défis, vu l’évolution constante des technologies. Mais pourrions-nous avoir recours à cette même technologie afin de rendre les pratiques d’enquête plus solides face aux nouvelles formes de criminalité?
Un article publié par Atlam et ses collègues en 2024 propose une revue de la littérature visant à éclaircir les connaissances actuelles sur le rôle et les enjeux des systèmes de chaîne de blocs dans les enquêtes numériques. Pour ce faire, les auteurs ont parcouru dans le détail 46 articles (sur 672 consultés) afin de mettre en lumière les derniers développements technologiques, les bénéfices, les cadres méthodologiques employés, les applications courantes et les défis juridiques liés à l’utilisation des chaînes de blocs dans ce domaine.
Les articles ont collectivement mis en évidence que l’utilisation des chaînes de blocs, pouvait s’avérer utile pour assurer l’intégrité, la traçabilité et la transparence des traces numériques exploitées en tant que preuve judiciaire. Certains proposent même de nouveaux cadres pour assurer une conservation des preuves qu’ils qualifient d’infalsifiables, grâce à l’enregistrement de chaque action de manière immuable et traçable, en automatisant les processus avec des contrats intelligents, en assurant une traçabilité totale via des audits complets, et en validant les transactions par des mécanismes de consensus sécurisés.
Toutefois, certaines limites ressortent des contributions soulevées. Notamment, les plus récurrentes portent sur le manque de mise en application de ces propositions théoriques dans le monde réel et l’absence de données empiriques pour évaluer concrètement la plus-value des solutions proposées. Par ailleurs, on y souligne aussi les difficultés intrinsèques aux chaînes de blocs, liées à leur caractère supranational et extra juridique, faisant en sorte que, la collaboration entre les acteurs de juridictions distinctes peut varier et, ainsi, compliquer les processus judiciaires.
Une chose est sûre, l'intégration de la technologie des chaines de blocs dans les enquêtes offre une garantie inégalée d'intégrité et de traçabilité des traces numériques, grâce à son caractère immuable et décentralisé, ce qui renforce considérablement la fiabilité des pratiques et l'admissibilité des preuves en contexte juridique. Cependant, pour tirer pleinement parti de ces avantages, il est essentiel que des cadres d'application clairs soient établis afin d'assurer une bonne intégration de cette technologie dans le respect des règles et des normes applicables.
Par Élisabeth Charette (novembre 2024)