l’intimité de personne
La table de chevet et tout ce qui s’y trouve est un élément très intime chez les gens. C’est un objet près duquel nous dormons tous les soirs, sur lequel nous déposons nos effets personnels, surtout ceux dont nous nous servons avant de se coucher et en se levant. La table de chevet de quelqu’un peut donc révéler plusieurs informations sur la personne, sur ses habitudes de vie quotidiennes ou même sur son identité.
J’ai tenté de recréer cet espace d’intimité, mais par le choix des objets mis ensembles, j’empêche le spectateur de pouvoir identifier l’individu à qui pourrait appartenir cette table de chevet.
Même si beaucoup d’objets sont présentés, des contradictions entre certains éléments viennent créer une ambiguïté étrange et il est impossible de peindre le portrait précis de l’individu.
Des éléments suggèrent des temporalités paradoxales: la présence du vieux radio et du chandelier nous amène à une autre époque alors que la paire d’écouteurs, la lampe et la boisson énergisante guru nous ancrent dans le monde moderne.
L’accumulation de cire des chandelles et le verre d’alcool évaporé nous portent à croire que la table de chevet est en quelque sorte abandonnée, mais la radio allumée et le fruit sans moisissure sont signes d’une présence récente.
La bible et peut indiquer qu’il s’agit d’une personne plutôt âgée, alors que la peluche suggère la présence d’un enfant.
Le baume à lèvre nous porte à croire qu’il s’agit d’une femme, alors que la montre, qu’il s’agit d’un homme.
Un pot de pilules vide suscite un inconfort : est-ce quelqu’un aurait pu tenter de s’enlever la vie ?
Le spectateur se retrouve face à la présence et à l’absence, au passé et au présent, à l’intimité d’une personne qui n’existe pas et qui ne peut pas exister et malgré tout, il se sent voyeur.
Corps étrangers du corps
L’idée pour cette sculpture m’est venue alors que j’ingérais ma pilule contraceptive. Lorsqu’on pense squattage, on pense à un individu qui occupe un espace dans lequel il n’est pas invité. N’est-ce pas ce que représente n’importe quel médicament, un corps étranger qui s’immisce dans notre intérieur? Même si on n’est jamais forcé de prendre quelconque médicament, il est rare que cela nous réjouisse. Nous prenons souvent un médicament car nous n’en n’avons pas vraiment le choix, car les conséquences seront pires si nous ne le prenons pas. Cependant, chaque médicament comporte son lot d’effets secondaires ou de conséquences à long terme sur notre corps.
J’ai choisi de créer une sculpture à partir de gélules vides transparentes afin que celles-ci soient neutres et puissent représenter n’importe quelle médication. Je les traversées d’un fils d’acier pour les lier ensemble et ainsi créer un genre de serpentin infini, entremêlé, qui illustre bien le cycle étourdissant sans fin qu’incarne la prise de médication tout au long de notre existence. J’ai délibérément choisi un fils de couleur dorée pour faire un rappel à toute la richesse crée par l’industrie pharmaceutique. Ma sculpture, malgré son propos sombre, a une allure esthétique assez festive et rappelle presque une guirlande de lumières de noël. Cela montre le côté malgré tout positif de la médication qui, dans plusieurs cas, sauve des vies.
J’ai décidé de porter ma sculpture sur moi-même puisque, après tout, la prise de médication est quelque chose qui nous suit de près toute notre vie. Elle est entourée autour de mon cou pour illustrer le sentiment d’étouffement que peut faire naître la prise d’un médicament.
Rhizome mycélien
Le rhizome comme terme philosophique se définit comme une structure évoluant en permanence et ce dans toutes les directions. Ce concept s’oppose à la hiérarchie en arborescence et propose plutôt un modèle dans lequel l’organisation des éléments ne suit pas une ligne directrice, mais ou tout élément peut affecter ou influencer un autre. Ce sont les philosophes Gilles Deleuze et Félix Guarratti qui ont développé cette idée dans l’ouvrage Milles Plateaux.
En botanique, un rhizome est la partie souterraine de la tige de certaines plantes. Le rhizome se distingue des racines fixées en un point car il se constitue en réseau. Même s’il est brisé, sa croissance reprend d’un point quelconque vers un autre. C’est d’ailleurs ce caractère anarchique qui a inspiré la théorie philosophique du Rhizome de Gilles Deleuze et Félix Guarrati.
Le mycélium, qui constitue l’appareil végétatif des champignons, correspond précisément aux caractéristiques d’un rhizome. Le mycélium est un réseau souterrain de très minces filaments blancs qui se ramifie et pousse presque à l’infini et qui, lorsque les conditions sont favorables, permet la naissance de champignons.
Toutefois, n’étant pas visible puisque souterrain, le mycélium opère dans l’ombre et rares sont ceux qui sont au courant de son existence. Nous avons tendance à ne s’intéresser qu’aux choses que nous pouvons voir et toucher de manière tangible, alors que les organismes les plus puissants sont souvent ceux que nous ne pouvons pas percevoir. Cela me préoccupe car le mycélium est selon moi un organisme fascinant et il est d’ailleurs un des premiers à être apparu sur terre. Les scientifiques disent d’ailleurs que nous provenons nous-même du mycélium.
Pour lui donner la visibilité et l’attention qu’il mérite, j’ai choisi de représenter le mycélium dans ma sculpture. Toutefois, les rôles sont inversés et le mycélium est présenté en élévation et placée en sorte que l’accès au champignon soit presque bloqué. Le spectateur serait naturellement porté à se diriger vers le champignon, car c’est ce qu’il connait et qu’il est placé sur un socle, mais le réseau de filaments l’en empêche, l’obligeant à porter une attention particulière à ce réseau de filaments qui évoque le mycélium.
Un autre sens de lecture peut être soulevé, celui de l’effet des champignons psychédéliques. En effet, lorsque l’on consomme un champignon psychédélique, les connexions neuronales dans notre cerveau se multiplient et de nouveaux chemins se créent dans notre conscience. Il y a donc un parallèle intéressant à faire entre le mycélium et le cerveau humain qui sont tous deux des structures rhizomatiques invisible à l’œil nu.
Cultiver le mouvement
Pour ce dernier projet, j’ai choisi d’intégrer un élément provenant d’un milieu qui m’inspire beaucoup : le laboratoire. Les cinq contenants apposés au mur sont des dessous de boites de Pétri. Une boîte de Pétri est une boîte à couvercle cylindrique en verre transparent peu profond ou en plastique, utilisée pour contenir une fine couche d’agar, ensuite utilisée pour cultiver des bactéries, des champignons et d'autres micro-organismes.
Il existe pour moi des liens particuliers entre le scientifique et l’artiste. En quête de réponses et de sens, ils sont tous deux prêts à passer des heures l’un dans son laboratoire, l’autre dans son atelier, afin d’expérimenter avec différents objets et différentes matières dans le but d’exposer leurs résultats au grand jour.
Toutefois, les œuvres d’art reçoivent généralement plus l’attention du grand public que les découvertes scientifiques, vu leur caractère plus accessible, expressif et intuitif. Je cherche donc à créer des œuvres dans lesquels ces deux mondes, celui de la science et des arts, se rencontrent et génèrent un intérêt nouveau chez le spectateur. Je crois pertinemment que les caractéristiques du processus de recherche scientifique peuvent grandement enrichir le processus de création d’un artiste, et vice-versa.
En utilisant de l’équipement de laboratoire dans mes œuvres, je me mets un peu dans la peau d’un scientifique, ce qui m’amène aussi à porter un regard nouveau et une attention particulière à mon matériel visuel. Dans ce cas-ci, j’ai effectué des captures vidéo de cultures de mycélium avec une lentille macro. Les plans très rapprochés génèrent une ambiguïté face à la nature des images présentées, qui peuvent parfois même avoir l’air de paysages. Les mouvements saccadés de la caméra donnent une impression de réel et mettent en lumière le geste de l’artiste, puis les changements de plans irréguliers créent un rythme de lecture non-linéaire. Plusieurs temporalités différentes sont présentées dans la projection puisque j’ai effectué des captures vidéographiques à différents moments dans les derniers mois, montrant ainsi différents états du mycélium à travers son évolution. Certaines images ont une allure plus numérique car j’ai filmé la culture de mycélium sur la vitre du scanner pendant la numérisation. Ces glitchs numériques parmi les images très organiques rappellent pour moi l’intervention de l’humain et sa volonté d’interférer avec le cours naturel des choses.
J’affirme aussi la présence du projecteur en tant que son rôle remplace en quelque sorte celui de la lumière d’un microscope. Tout comme la lumière d’un microscope, la projection nous amène à focusser notre regard sur un élément en particulier et sa matérialité. Tout comme le microscope peut mettre en lumière une culture ou un micro-organisme, la projection dans une œuvre d’art permet généralement de mettre l’emphase sur une partie de l’œuvre.
La boite de pétri représente pour moi un support artistique qui a le potentiel d’encadrer des images différemment et de leur donner un autre sens. Le choix de créer des images de nature scientifique pour les intégrer à mon processus créatif en arts visuels me permet de créer ce dialogue selon moi important entre le côté rationnel et intuitif de la vie.