L'univers botanique de Cartier préfigure celui de Champlain (suite 2.)

Ces amateurs avertis cueillent et nomment les plantes qui ont un intérêt économique et classent les autres dans la famille des "herbes qui n'ont pas de nom". Cartier va même jusqu'à prendre position par rapport aux Anciens botanistes lorsqu'il écrit:

"/.../ je confesse qu'ilz [les saiges philosophes du temps passé] ont escript de la maniere et cru fermement qu'ilz le penssoient ainsi et qu'ilz le trouvoient par aucunes raisons naturelles là où ilz prenoient leur fondement et d'icelles se contentoient seullement sans adventurer ny meptre leurs personnes es dangiers esquelz ilz eussent peu encheoir à sercher l'experience de leur dire. Mais je diré pour ma replicque que le prince d'iceulx philozophes a laissé parmy ses escriptures ung brief mot de grande consequence qui dict que experientia est rerum magistra par l'enseignement duquel je ose entreprendre de adresser à la veue de votre magesté royalle cestuy propotz en maniere de prologue de ce mien petit labeur car suivant votre royal commandement les simples mariniers de present non ayans eu tant de craincte de soy meptre en l'adventure d'iceulx perilz et dangiers qu'ilz ont eu et ont desir de vous faire tres humble service à l'augmentation de la tres saincte foy chrétienne ont congneu le contraire d'icelle oppinion des philozophes par vraye experience."*.

La médecine du roi va profiter des voyages et la table des grands doit s'enorgueillir des épices et des plantes exotiques que les découvreurs rapportent des lointains continents. Il ne faut pas oublier la concurrence très forte qui existait dans le commerce du poivre, du gingembre, du girofle et des autres aromates en Europe depuis le Moyen Age. Il est difficile de croire aujourd'hui à l'importance de ces denrées.

Cartier et peut-être Champlain sont plus près de ces cueilleurs ou coupeurs de racines que de ceux qui classent et nomment les plantes. Ils assureront leur survie par une connaissance des plantes. Ils expérimenteront en quelque sorte sur eux-mêmes ou leur équipage, les propriétés nutritives ou médicinales de la végétation qu'ils apprennent à connaître par eux-même ou encore avec l'aide des Amérindiens. L'exemple le mieux connu à ce sujet est certes celui de l'avitaminose scorbutique qui terrasse plus de 25 hommes de l'équipage de Cartier durant l'hiver 1535 à Stadaconé. La médecine européenne reste alors impuissante devant une telle maladie à peine décrite dans la littérature médicale du temps qui la nommait souvent le "mal des gencives". Cartier se décide à consulter les Amérindiens et l'on raconte que Domagaya ayant lui-même souffert de la maladie et ayant été guéri par une décoction "d'annedda"* lui recommande le médicament miracle.

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