EDUTIC : AKI - Société et territoires autochtones
EDUTIC
RETOUR
L'hiver selon le jésuite Paul Le Jeune

Voici les qualités de l'hiver, il a été beau et bon, et bien long. Il a été beau, car il a été blanc comme neige, sans crottes et sans pluie. Je ne sais s'il a plu trois fois en quatre ou cinq mois, mais il a souvent neigé.

Il a été bon, car le froid y a été rigoureux; on le tient pour l'un des plus fâcheux qui ait été depuis longtemps. Il y avait partout quatre ou cinq pieds de neige, en quelques endroits, plus de dix, devant notre maison, une montagne. Les vents la rassemblant, et nous, d'autre côté, la relevant, pour faire un petit chemin devant notre porte, elle faisait comme une muraille toute blanche, plus haute d'un ou deux pieds que le toit de la maison. Le froid était parfois si violent, que nous entendions les arbres se fendre dans le bois, et se fendant faire un bruit comme des armes à feu. Il m'est arrivé qu'en écrivant fort près d'un grand feu, mon encre se gelait, et par nécessité il fallait mettre un réchaud plein de charbons ardents proche de mon écritoire, autrement j'eusse trouvé de la glace noire, au lieu d'encre.

Cette rigueur démesurée n'a duré que dix jours ou environ, non pas continuels, mais à diverses reprises; le reste du temps, quoique le froid surpasse de beaucoup les gelées de France, il n'y a rien d'intolérable, et je puis dire qu'on peut ici plus aisément travailler dans les bois, qu'on ne fait en France, où les pluies de l'hiver sont fort importunes. Mais il se faut armer de bonnes mitaines, si on ne veut avoir les mains gelées. Nos Sauvages néanmoins s'en venaient quelquefois chez nous à demi nus, sans se plaindre du froid, ce qui m'apprend que si la nature s'habitue à cela, la nature et la grâce pourront bien nous donner assez de cœur et de force pour le supporter joyeusement; s'il y a du froid, il y a du bois.

Source : Paul Le Jeune, Relation de ce qui s'est passé en la Nouvelle France en l'année 1633, Paris, Chez Sébastien Cramoisy, 1634, p. 45-47.