À partir de ce texte du missionnaire jésuite Paul Le Jeune, on peut s'amuser à repérer les différences entres les sociétés autochtones et européennes. Voici quelques exemples : Tandis que les Autochtones aiment s'accroupir, les Français s'assoient plutôt sur des chaises. Les Autochtones préfèrent les aliments fumés à la nourriture salée et épicée des Français. L'odeur du musc est très appréciée des Français alors que les Autochtones la trouvent répugnante.
De la diversité des actions et des façons de faire des Français, ou des Européens, et des Sauvages.
- […] Commençons par l'odorat. Il se trouve en ces quartiers de l'Amérique, des animaux, auxquels les Français ont donné le nom de rats musqués, pour ce qu'en effet ils ressemblent aux rats de France, sinon qu'ils sont bien plus gros, et qu'ils sentent le musc au printemps. Les Français aiment beaucoup cette odeur ; les Sauvages la rebutent, comme une puanteur. Ils s'oignent et se graissent la tête, et la face, avec des huiles, et avec de la graisse, qui nous put comme la charogne : […].
- Pour l'oreille. Encore que les Sauvages se plaisent fort au chant, un concert de musique leur semble une confusion de voix : […] mais leurs chansons, qui sont mornes et pesantes, nous donnent des idées de la nuit, leur semblent jolies, comme l'émail du jour. Ils chantent dans les dangers, dans les tourments, et dans les approches de la mort : les François gardent, pour l'ordinaire, un profond silence dans toutes ces rencontres. Le sel qui assaisonne toutes les viandes qu'on mange en Europe, les rend amères au goût des Sauvages. Leur boucan [viande fumée], qui nous est quasi de la suie, leur est fort savoureux. […]
- […] Ils trouvent le sommeil plus doux sur un lit de terre, et sur un chevet de bois, que plusieurs personnes sur le duvet. […] En un mot, les Sauvages sont quasi demi nus, pendant l'hiver, et les Français se couvrent le plus chaudement qu'ils peuvent.
- Pour ce qui concerne le sens de la vue. Il est tout certain, qu'il est universellement plus parfait chez les Sauvages, que chez les Français : l'expérience s'en fait quasi tous les jours. S'il faut découvrir quelque chose, les Français ne se fient pas tant à leurs propres yeux, qu'aux yeux des Sauvages. […]
- Pour rendre un visage plus beau en France, on le dégraisse, on le lave le plus soigneusement qu'on peut : les Sauvages au contraire, l'oignent et le graissent tant qu'ils peuvent, le croyant d'autant plus agréable, qu'il est plus luisant de leurs graisses, ou de leurs huiles. Pour se rendre difforme dans l'Europe, on se barbouille de noir, de jaune, de bleu : et c'est cela même qui fait un Sauvage beau, et bien agréable. […]
- En France, les cheveux un peu blonds, bien façonnés, et bien dégraissés, bien gaufrés, et bien annelés [bouclés], sont les plus beaux. […] Les Sauvages les veulent longs, raides, noirs, et tout luisants de graisse. Une tête frisée leur est aussi laide, qu'elle est belle en France. […]
- On tient que la barbe donne de la grâce, et de l'ornement à l'homme. Cette opinion n'est pas reçue partout. La barbe est la plus grande difformité que puisse avoir un visage, en ce nouveau monde. Les peuples de ces contrées, appellent les Européens barbus, par grosse injure. […]
- La coiffure, en France, distingue les hommes d'avec les femmes. Quand les Sauvages se couvrent la tête, toute coiffure leur est bonne : un homme se servirait aussi bien d'un chaperon qu'une femme, s'il trouvait ce bonnet chaud, et commode à la tête. […] Si un garçon se vêtait en fille dans l'Europe, il ferait une mascarade. En la nouvelle France, la robe d'une femme n'est point malséante à un homme. […]
- On porte, en France, les bracelets au poignet de la main. Les Sauvages les portent non seulement au même endroit, mais encore au dessus du coude, et même encore aux jambes, au dessus de la cheville du pied. […]
- Il n'y a que les femmes en France qui portent des colliers. Cet ornement est plus commun aux hommes de Canada qu'aux femmes. Au lieu de perles, et de diamants, ils portent des grains de porcelaine diversement enfilés, des grains de chapelets, de petits tuyaux ou canons de verre, ou de coquillage. […]
- En France. Les hommes et les femmes se font faire des habits assez justes, pour paraître plus lestes : les filles particulièrement, font gloire d'être menues. En Canada tout le monde s'habille au large : […]
- [En France] Plus les robes des dames sont longues, et plus elles ont de grâce. Les femmes Sauvages se moqueraient d'un habit, qui descendrait beaucoup plus bas que les genoux. Leur travail les oblige à suivre cette mode.
- […] La plupart des Européens sont maintenant assis sur des sièges relevés, se servant de tables rondes ou carrées. Les Sauvages mangent à terre, […]. Si quelqu'un était monté sur une tour assez haute, d'où il put voir, à son aise, toutes les nations de la terre ; il serait bien empêché de dire qui ont tort, ou ceux qui ont raison : ceux qui sont fous, ou ceux qui sont sages dans des variétés, et dans des bigarrures si étranges. […]
- En France. On entremêle le boire avec le manger. Les Algonquins font tout le contraire en leurs festins : ils mangent premièrement ce qu'on leur sert, et puis ils boivent sans plus toucher à la viande.
- En France. Celui qui invite ses amis, se met en table, et leur sert des viandes, qu'il a fait apprêter : en ce pays, le maître du festin ne mange point, et quelques fois il fait distribuer par un autre, les mets de son banquet. […]
- La graisse toute pure fait mal au cœur aux Français ! Les Sauvages la boivent, et la mangent figée. […].
- En la plupart de l'Europe, quand quelqu'un va en visite, on l'invite à boire : parmi les Sauvages, on l'invite à manger. […]
- Un bon danseur, en France, n'agite pas beaucoup les bras, il tient le corps droit, remue les pieds si lentement, que vous diriez qu'il dédaigne la terre, et qu'il veut demeurer en l'air : les Sauvages au contraire, se courbent dans leurs danses ; ils poussent et remuent leurs bras avec violence, comme s'ils voulaient pétrir du pain : ils frappent la terre des pieds si fortement, qu'on dirait qu'ils la veulent ébranler, ou enfoncer dedans jusqu'au col [cou]. […]
- En France. On porte les enfants sur le bras, ou sur la poitrine. En Canada, les mères les portent derrière leur dos. On les tient en France le mieux couverts qu'on peut : là ils sont le plus souvent nus comme la main. Leur berceau, en France, demeure à la maison : là, les femmes le portent avec leur enfant : aussi n'est-il composé que d'une planche de cèdre [porte-bébé], sur lequel le pauvre petit est lié comme un fagot. […]
- En France. On ne se plaît pas beaucoup de voir tomber de la neige, ou de la grêle : c'est ce qui fait sauter d'aise les Sauvages. […]
- En France. Un père mariant sa fille, lui assigne une dot. Là, on donne au père de la fille. […]
- En France. L'homme emmène, pour l'ordinaire, la femme qu'il épouse, en sa maison : là, l'homme va demeurer en la maison de la femme.
- En France. Si quelqu'un se met en colère, s'il a quelque mauvais dessein, s'il machine quelque mal, on l'injurie, on le menace, on le châtie : là, on lui fait des présents, pour adoucir sa mauvaise humeur, et pour guérir sa maladie d'esprit, et pour reprendre de bonnes pensées. […]
- En une bonne partie de l'Europe, on s'est jeté dans un tel excès de cérémonies, et de compliments, que la sincérité en est bannie. Là tout au contraire, la sincérité est toute nue […]
- En Europe. On ôte aux morts tout ce qu'on peut, on ne leur donne que ce qui est nécessaire pour les cacher, et pour les éloigner de nos yeux. Les Sauvages sont tout au contraire, ils leur donnent tout ce qu'ils peuvent, ils les oignent, et les habillent, comme s'ils allaient aux noces, enterrant avec eux tout le bagage qu'ils aimaient.
- Les Français sont étendus tout de leur long dans leurs sépultures : les Sauvages en ensevelissant leurs morts, leur font tenir dans le tombeau, la posture qu'ils tenaient dans le ventre de leur mère.
Source : Paul Le Jeune, « De la diversité des actions, & des façons de faire des François, ou des Européens, & des Sauvages », Relation de ce qui s'est passé de plus remarquable aux missions des PP. de la Compagnie de Jesus en la Nouvelle France, és années 1657. & 1658, Paris, Sebastien Cramoizy, 1659, p. 103-130.