EDUTIC : AKI - Société et territoires autochtones
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Comment les Amérindiens voient-ils les Français ?

Le récollet Gabriel Sagard nous présente ici ses observations basées sur son travail de missionnaire au pays des Hurons-Wendats en 1623-1624.

[Les] Français, qu'ils appellent Agnonha, c'est-à-dire gens de fer, en leur langue, et les Canadiens et Montagnais nous surnomment Mistigoche, qui signifie en leur langue canot ou bateau de bois: ils nous appellent à cause que nos navires et bateaux sont faits de bois, et non d'écorces comme les leurs; mais pour le nom que nous donnent les Hurons, il vient de ce qu'avant nous ils ne savaient ce qu'était fer, et n'en avaient aucun usage, non plus que tout autre métal ou minéral.

[...] ayant la barbe tellement en horreur que, pensant parfois nous faire injure, ils nous appelaient Sascoinronte, qui est à dire: « Barbu, tu es un barbu »; aussi croient-ils qu'elle rend les personnes plus laides et amoindrit leur esprit. Et à ce propos je dirai qu'un jour un sauvage voyant un Français avec sa barbe, se retournant vers ses compagnons leur dit comme par admiration et étonnement: « Ô que voilà un homme laid ! Est-il possible qu'aucune femme voulût regarder de bon oeil un tel homme », et lui-même était un des plus laids sauvages de son pays; c'est pourquoi il avait fort bonne grâce de mépriser ce barbu.

Il arriva au truchement [interprète] des Épicerinis [Népissingues], qu'après avoir passé deux ans parmi eux et que pensant le congratuler, ils lui dirent: « Eh bien, maintenant que tu commences à bien parler notre langue, si tu n'avais point de barbe, tu aurais déjà presque autant d'esprit qu'une telle nation », lui en nommant une qu'ils estimaient avoir beaucoup moins d'esprit qu'eux, et les Français avoir encore moins d'esprit que cette nation-là, tellement ces bonnes gens-là nous estiment de fort petit esprit, en comparaison d'eux; aussi à tout bout de champ, et pour la moindre chose, ils vous disent: « Téondion », ou « Tescaondion » c'est-à-dire tu n'as point d'esprit; « Ataché », mal bâti. À nous autres religieux ils nous disaient autant au commencement; mais à la fin ils nous eurent en meilleure estime et nous disaient au contraire: « Cachia otindion », vous avez grandement d'esprit; « Hoüandate daustan téhondion », et les Hurons n'en ont point; « Arondiuhanne », ou « Ahondiuoy issa », vous êtes gens qui connaissez les choses d'en haut et surnaturelles, et ils n'avaient pas cette opinion ni croyance des autres Français, en comparaison desquels ils estimaient leurs enfants plus sages et de meilleur esprit, tant ils ont bonne opinion d'eux-mêmes et peu d'estime d'autrui.

Source : Gabriel Sagard, Le grand voyage du pays des Hurons [1632], texte établi par Réal Ouellet, Bibliothèque québécoise, 1990, p. 147-148, 216-218.