Il est juste à présent, pour contenter pleinement la curiosité du Lecteur, de lui faire ici un portrait naturel de leurs mœurs en général, et un abrégé des bonnes et mauvaises qualités des Gaspésiens [Micmacs], soit du corps, soit de l'esprit.
Ils sont tous naturellement bien faits de corps, d'une riche taille, haute, bien proportionnée, et sans aucune difformité; puissants, robustes, adroits, et d'une agilité surprenante, surtout quand ils poursuivent les orignaux, dont la vitesse ne cède point à celle des daims et des cerfs. Les hommes sont plus grands que les femmes, qui sont presque toutes petites; mais les uns et les autres d'un maintien grave, sérieux, et fort modeste; marchant posément, comme s'ils avaient toujours quelque grosse affaire à ruminer, et à décider dans leur esprit. Leur couleur est brune, olivâtre et basanée; mais leurs dents sont extrêmement blanches, peut-être à cause de la gomme de sapin, qu'ils mâchent fort souvent, et qui leur communique cette blancheur. Cette couleur cependant ne diminue rien de la beauté naturelle des traits de leur visage: et on peut dire avec vérité, qu'on voit dans la Gaspésie d'aussi beaux enfants, et des personnes aussi bien faites qu'en France; entre lesquelles il n'y a pour l'ordinaire ni bossus, boiteux, borgnes, aveugles, ni manchots.
Ils jouissent d'une santé parfaite, n'étant pas sujets à une infinité de maladies comme nous: ils ne sont ni trop gras, ni trop maigres; et l'on ne voit pas chez les Gaspésiens, de ces gros ventres pleins d'humeurs et de graisse: aussi les noms de gouttes, de pierre, de gravelle, de galle, de colique, de rhumatisme, leur sont entièrement inconnus.
Ils ont tous naturellement de l'esprit, et le sens commun au-delà de ce qu'on se persuade en France; ils conduisent adroitement leurs desseins, et prennent des moyens justes et nécessaires, pour y parvenir heureusement; sont fort éloquents et persuasifs parmi ceux de leur Nation, usant de métaphores et de circonlocutions fort agréables dans leurs harangues, qui sont très éloquentes, particulièrement quand elles sont prononcées dans les Conseils et les Assemblées publiques et générales.
Source : Chrestien Leclercq, Nouvelle Relation de Gaspésie [1691], édition critique sous la direction de Réal Ouellet, Montréal, Les Presses de l'Université de Montréal, 1999, p. 461-466.