Le 18 avril 1632, le père Le Jeune part du Havre en France. Il n'arrive que le 5 juillet à Québec.
Nous eûmes au commencement un très beau temps et, en dix jours, nous fîmes environ six cents lieues, mais à peine en pûmes-nous faire deux cents les trente-trois jours suivants. Ces bons jours passés, nous n'eûmes que tempêtes ou vent contraire, hormis quelques bonnes heures qui nous venaient de temps en temps. J'avais quelques fois vu la mer en colère, des fenêtres de notre petite maison de Dieppe; mais c'est bien autre chose de sentir dessous soi la furie de l'Océan, que de la contempler du visage; nous étions des trois et quatre jours à la cape, comme parlent les mariniers, notre gouvernail attaché, on laissait aller le vaisseau au gré des vagues et des ondes dans les abîmes; vous eussiez dit que les vents étaient déchaînés contre nous. À tous coups, nous craignions qu'ils ne brisassent nos mâts ou que le vaisseau ne s'ouvrit; et de fait il se fit une voie d'eau, laquelle nous aurait coulé à fond, si elle fut arrivée plus bas, ainsi que j'entendais dire. C'est autre chose de méditer de la mort dans sa cellule devant l'image du Crucifix, autre chose d'y penser dans une tempête et devant la mort même. Je vous dirai néanmoins ingénument, qu'encore que la nature désire sa conservation, que néanmoins au fond de l'âme je sentais autant ou plus d'inclination à la mort qu'à la vie; je me mettais devant les yeux que celui qui m'avait conduit dessus la mer avait de très bons desseins et qu'il le fallait laisser faire; je n'osais lui rien demander pour moi, sinon de lui présenter ma vie pour tout l'équipage. Quand je me figurais que peut-être dans peu d'heures je me verrais au milieu de vagues et par aventure dans l'épaisseur d'une nuit très obscure, j'avais quelque consolation en cette pensée, m'imaginant que là où il y aurait moins de la créature, qu'il y aurait plus du Créateur et que ce serait là proprement mourir de sa main; mais ma faiblesse me fait craindre que peut-être si cela fut arrivé j'eusse bien changé de pensée et d'affection.
Source : R.G. Thwaites, The Jesuit Relations and Allied Documents, Cleveland, Burrows, 1897, vol. 5, p. 10-14.