Jadis, bien avant que le premier monde habité soit couvert d'eau, les hommes et les bêtes étaient amis. Malheureusement, après que le rat musqué et Napiwa le vieil homme eurent fait l'île flottante, les hommes devinrent si nombreux qu'ils prirent la place des animaux.
Les animaux, n'ayant plus de place, décidèrent d'aller habiter plus loin, là où les hommes n'y sont pas. L'élan alla s'abriter dans les bois humides du côté d'où arrive l'hiver. Le bison décida d'aller dans la grande plaine. L'antilope, le loup et l'ours gris le suivirent. Quant au mouflon et la chèvre sauvage, ils allèrent dans la montagne. Les petits animaux, quant à eux, décidèrent d'aller se loger sous le sol. Par la suite, les hommes et les bêtes arrêtèrent de se parler et de se comprendre.
Ce fut pire lorsque les hommes inventèrent les armes. Avant de s'en servir contre eux-mêmes, ils les utilisèrent sur les animaux. Les hommes se mirent à tuer leurs anciens amis pour se nourrir de leur chair et se vêtir de leurs peaux. La violation de cette ancienne paix appelait vengeance.
Les premiers à s'être réunis sont les ours. Leur chef, grand ours blanc, invita ses confrères à annoncer la guerre aux hommes. Les jeunes ours voulaient attaquer les hommes immédiatement. Grand ours blanc les persuada d'attendre, le temps qu'ils soient prêts. Par la suite, grand ours blanc réalisa qu'ils n'étaient pas armés. Les ours proposèrent des arcs et des flèches. L'un dit : « Nous pourrions très bien en avoir nous aussi. Nous savons de quel bois ils sont fabriqués et de quelles pierres pointues les hommes se servent. » Les jeunes ours décidèrent de s'armer. Ils allèrent chercher des bois de frêne et des pierres de silex. Par la suite, l'un des ours se sacrifia pour faire don de ses tendons. Une fois armés, les ours se pratiquèrent au tir. Ils virent que leurs griffes les gênaient et les empêchaient de tirer droit. Un des ours proposa de les couper. Grand ours blanc les convainquit que cela n'avait pas de sens puisqu'il leur serait impossible de se nourrir. Ils ne pourraient plus grimper aux arbres, déchiqueter les troncs d'arbres pourris où se cachent les fourmis. Grand ours blanc se mit à penser comment ils pourraient vaincre les hommes.
Après mûre réflexion, il en vint à la conclusion que les hommes seraient toujours plus forts que les ours et qu'une guerre serait désastreuse. Grand ours blanc proposa donc aux autres ours que lorsqu'un homme tuerait un ours avec la force des armes, il devrait lui faire ses excuses et faire un sacrifice de tabac à son esprit. Que ceux qui manquent à ce devoir souffriraient d'un mal si atroce qu'ils ne pourraient plus marcher. Tous les ours consentirent à cet arrangement.
Les poissons et les reptiles se réunirent par la suite en un conseil. Ils décidèrent que lorsqu'un homme tuerait l'un des leurs, les plus laids d'entre eux visiteraient les hommes dans leur sommeil. Les victimes devraient ensuite payer très cher les chamans qui les débarrasseraient de ces cauchemars.
Les insectes cherchaient aussi un moyen de punir les hommes qui bien souvent les tuaient sans même les regarder. Ce fut le pou qui proposa à ses frères de donner aux hommes toutes les maladies qu'ils rencontreraient.
Les plantes ayant des espions partout étaient au courant des complots que les animaux préparaient. Après que les animaux eurent fini de choisir leurs vengeances, elles se réunirent à leur tour. Toutes étaient présentes sauf la plante qui pique et celle qui empoisonne. Toutes décidèrent de rester amies avec les hommes et de les aider. Le jeune hêtre promit de garder ses feuilles tout l'hiver afin qu'on puisse en faire un remède contre l'eczéma, le groseillier, de guérir l'inflammation des poumons avec la sève de ses racines, le genévrier promit d'arrêter les palpitations du cœur, quant à l'oignon des bois, il guérira l'asthme et l'épicea noir, le scorbut.
Par la suite, les plantes décidèrent que lorsqu'un chaman aurait à soigner une maladie inconnue, il n'aurait qu'à consulter l'esprit des plantes qui guiderait son choix.
Tirée de : Mélançon, Claude, Légendes indiennes du Canada, Ottawa, Du Jour, 1967, 159 pp.