Les dernières années ont vu émerger et gagner en popularité les services de stockage infonuagique, couramment appelés "cloud". Cette nouvelle technologie permet à ses utilisateurs de sauvegarder sur des serveurs distants une quantité importante de données numériques, une nouvelle réalité devant être considérée par les tribunaux. Ces derniers devaient déterminer si les données, souvent de nature sensible et privée, hébergées par ces services, font l’objet d’une attente raisonnable de vie privée par leurs utilisateurs au même titre que celles se trouvant sur un ordinateur personnel. Dans un article datant de 2019, Laura Ellyson, docteure en droit de l’Université de Dalhousie, établit en quoi ce développement technologique représente un enjeu d’ordre juridique en présentant un historique de la jurisprudence canadienne en la matière. Ses conclusions sont aussi pertinentes pour les juristes que pour les forces de l’ordre qui traiteront inévitablement de plus en plus avec les services d’infonuagique dans le cadre de procédures judiciaires et d’enquêtes.
Ellyson explique d’abord que le stockage infonuagique ne constitue pas un objet matériel à l’instar d’un ordinateur. Le caractère délocalisé de ce type de stockage lui confère la possibilité d’y accéder à partir de différents appareils et par plusieurs utilisateurs en même temps. Dans une situation où un policier découvre qu’un suspect utilise un service infonuagique pour y stocker des données d’intérêt pour l’enquête, peut-il simplement accéder à celui-ci dans le but d’analyser les données qu’il contient sans que celles-ci soient écartées par la cour?
À l’heure actuelle, les tribunaux canadiens s’entendent pour dire que les données hébergées par un service infonuagique, ainsi que les métadonnées qui s’y rattachent, font l’objet d’une attente raisonnable de vie privée de la part de leurs propriétaires. Elles sont donc protégées en vertu de l’art. 8 de la Charte canadienne des droits et libertés qui protège les justiciables contre les fouilles, perquisitions et saisies abusives. On doit la majorité de ces développements aux arrêts Duarte (1990) et Marakah (2017) qui spécifient, entre autres, que le seul fait qu'une information soit partagée avec une partie tierce n'est pas suffisant pour rejeter l'attente raisonnable de vie privée et qu’il faut procéder à une analyse contextuelle de la situation afin de déterminer si l'attente de vie privée est applicable ou non à une situation. Dès lors, Ellyson soutient que les forces de l'ordre doivent porter attention particulière aux ordonnances judiciaires afin d’éviter des écueils lors du traitement de données hébergées par un service infonuagique. Pour ce faire, différents types d'ordonnances existent en fonction des situations, notamment le mandat de perquisition lors d’un accès direct à un appareil qui permet l’accès au serveur infonuagique, ou encore l’ordonnance générale de communication qui peut permettre d’obtenir les données par l’entremise des fournisseurs de service.
En somme, le plus important à retenir est que pour les tribunaux canadiens, l’utilisateur d'un service infonuagique est généralement réputé comme ayant une attente raisonnable de vie privée à l'égard de ses données, car celles-ci sont protégées par l’article 8 de la Charte, au même titre que si elles se trouvaient sur un ordinateur ou un téléphone. Afin d'éviter des accros relatifs à la protection contre les fouilles, les perquisitions et les fouilles abusives, il est primordial pour les forces de l’ordre de bien connaître les options disponibles pour collecter ce type de données de manière à ce qu'elles demeurent admissibles devant le tribunal.
Par Bintou Diarra (janvier 2023)