Inquiets à la suite du changement de gouvernement survenu en 1760, les Montagnais demandent à leur missionnaire d'écrire au gouverneur anglais. Ils veulent qu'on leur confirme la possession de leurs terres. Ils précisent aussi le sens de la nouvelle alliance avec les Britanniques. Pour eux, cette alliance est une relation d'échange comme celle qu'ils avaient avec les Français. Ils reconnaissent une certaine autorité au roi d'Angleterre, mais aucun pouvoir absolu. Ils se considèrent toujours les propriétaires de leurs terres.
Mon père, m'ont-ils dit avec un peu d'émotion, nous apprenons qu'on veut donner nos terres, non pas seulement pour y venir traiter, mais les donner en propriété une partie à l'un, une partie à l'autre, en sorte que nous serons dépouillés de ce que nous possédons. Car tu sais, mon père, que nous avons chacun notre terrain, nos grands-pères l'ont eu avant nous, ils l'ont laissé à leurs enfants, nous en jouissons aujourd'hui. Pierre ne va pas chasser sur les terres de Jacques, nous le traitons de voleur lorsqu'il a été tendre des chemins de martres ou qu'il a détruit des chaussées de castor. Sur ce terrain qui nous appartient; où veut-on que nous nous retirions si nous n'avons pas les bords de la mer pour nous ! Il faudra donc payer à des propriétaires pour avoir la vie que nous trouvons en été dans les rivières et dans les lacs proches du fleuve, car on ne nous laissera ni chasser ni pêcher sans payer quelque chose pour en avoir la permission, tu sais, mon père, que nous avons bien de la peine à vivre; et si on nous vend notre vie, que veut-on que nous devenions ? Sont-ce là les promesses que nous a fait faire notre père le roi d'Angleterre; toi, mon père, tu nous as dit que son intention était de nous faire jouir des avantages de la paix comme ses autres sujets, nous espérons qu'il voudra bien nous tenir la parole qu'il nous a fait donner, nous reconnaissons le roi d'Angleterre pour notre père et notre maître, nous voulons lui obéir et lui être fidèles. Mais il nous permettra de lui représenter que depuis cent cinquante ans, et au-delà, c'est-à-dire bien avant que ceux de l'autre bord, (les Européens) soient venus s'emparer de ce pays, nos pères et nous avons toujours habités les terres que nous habitons aujourd'hui, les bords de la mer et la profondeur pour la chasse tant en hiver qu'en été. Il est vrai que le roi de France a pris cette terre pour lui, mais ça été pour nous la conserver, nous étions ses enfants, il nous regardait comme tels, et il chargeait quelqu'un de nous donner nos besoins pour la vie et pour l'habit. Nous donnions à celui qu'il avait chargé de ce soin nos pelleteries et tout ce qui provenait de notre chasse : nous étions tranquilles, nous chassions sans nous embarrasser qui faisait la paix ou la guerre, aujourd'hui notre père le roi d'Angleterre a fait par ses armes la conquête de ce pays, […] Nous demandons seulement qu'il nous fasse chasser tranquillement et sans inquiétude, que nous n'ayons à répondre qu'à lui ou au chef qu'il mettra à Québec pour nous gouverner, mais qu'il ne permette pas que l'on donne ou vende nos terres à plusieurs particuliers.
Source : Denys Delâge, « Le XVIIIe siècle », SHR 765, Université de Sherbrooke, p. 63-64 (A.S.M.S., poly 31 no 34).