L'univers botanique de Cartier préfigure celui de Champlain (suite 1.)

Notons que Cartier identifie presque toujours les plantes canadiennes aux plantes européennes qu'il connait. Il répète souvent en parlant des plantes du Canada qu'elles sont "de la sorte des nôtres" ou encore "de la nature et sorte de France"*. Le tableau montre également qu'une bonne vingtaine sont connues et mentionnées par Jean Alfonse et par le moine Thévet.

Les connaissances botaniques de Cartier le rapprochent de catégories bien particulières de cueilleurs de plantes: ceux pour qui la connaissance empirique des plantes importe plus que leur classification: les Rhizotomi ou coupeurs de racines et les Botanicoi ou cueilleurs d'herbes. Aux dires de Daniel Le Clerc, en Grèce, les rhizotomes étaient estimés et nommés par Aristote et Théophaste. Ces derniers mentionnaient entre autres Thrasias, l'investigateur des vertus des simples et Alexius, son disciple qui était aussi un habile médecin. Endemus qui essayait sur lui-même les propriétés des plantes, les avait intéressés particulièrement. Daniel Le Clerc informe sur ces premiers cueilleurs de plantes:

" / ... / les médecins grecs tiroient les simples les plus communs, des Herboristes qu'on appeloit Rhizotomoi coupeurs de racines, et Botanologoi ou Botanicoi, cueilleurs d'herbes, et non pas Botanistai, ce dernier nom étant propre à ceux qui mondoient les Bleds, ou qui en arrachoient les mauvaises herbes. / . . ./ Les Rhizotomoi, et ceux qui exerçoient la Pharmaceutique, avoient aussi des lieux propres pour tenir leurs simples, leurs drogues et leurs compositions. On appeloit ces lieux, en grec Apothêcai, d'un nom général qui signifiait toutes sortes de lieux où l'on resseroit quelque chose, et d'où l'italien Botega et le français Boutique (le mot "boutiques" est souvent employé seul dans le sens de boutiques d'Apothicaires ou d'Herboristes dans Charles de l'Escluse.) ont été formés, aussi bien que le nom d'Apothicaire en a été tiré."*


Les rhizotomes ignoraient la distinction des espèces. Leurs explorations étaient guidées par la recherche des plantes utilisables en médecine. Mais ils devaient tout de même avoir une manière d'identifier les plantes dont ils faisaient choix pour les retrouver au besoin, les récolter ou les faire connaître. C'est en cela qu'ils ont été utiles à la future science dont ils posaient les premiers jalons. Ils revendaient souvent le fruit de leur herborisation à des médecins.

Pour les voyageurs, les explorateurs et les premiers arrivants européens, un premier recensement des richesses du continent prend donc la forme d'une cueillette dans un but de rapporter des plantes ayant d'abord une valeur économique. La classification est très primaire: elle sépare le connu et l'inconnu, la grosseur et la saveur des fruits toujours en comparant avec ceux que l'on connaît en Europe.

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