Le goût

Goûtez ceci…

Dans la noirceur de l'utérus, le toucher est une sensation corporelle généralisée telle la pulsation des battements du coeur de maman.

La vision n'existe pas.

L'ouïe est là, mais étouffée (Est-ce que c'est Mozart qui joue à travers la bedaine de maman ? Peut-être les Jackson Five…)

Je ne sens rien (je n'ose pas respirer!)

Le goût est mon monde. La gustation est ma vie, parce que j'ai besoin de vivre.

Le fluide amniotique est salé, un peu amer et même un peu sucré : le premier goût de la vie.

Le goût est le seul sens essentiel pour la vie – il apporte la nutrition. Ne manges pas durant 30 jours et tu meurs. Tu ne peux voir, ou toucher, ou sentir ou écouter, tu es simplement un moine Théravadin en entrainement. Après avoir absorbé tout ce qu'il y avait comme nutriments dans le ventre maternel, tu viens au monde et ce sera probablement le meilleur massage de ta vie.

Par la suite, on devient difficile. Nourrisson, tout que je voulais manger était de la purée de pomme. Plus tard, ce fut le "Kraft dîner". Je ne vais jamais oublier le goût du "Kraft dîner", cette nourriture sécurisante et crémeuse. Probablement que dans mon lit d'agonie, juste avant la mort, je demanderai un grand bol de "Kraft dîner". Étrange car depuis l'âge de 13 ans, je n'en ai plus jamais mangé, pas même une fois seulement. Aujourd'hui, j'ai 53 ans ; les souvenirs de ce goût sont encore très soutenus et profonds.

Si j'étais japonais, mon chez moi serait empli d'odeur de riz et de soya. Mexicain, mon attachement serait sûrement dirigé vers le mais et la tomate. Les Terre-neuviens, quant à eux, deviennent très émotifs devant un repas de poisson et de pomme de terre. Est-ce qu'un indonésien pourrait survivre sans chili et sans trasi? J'accorde peu d'importance à ses attachements dans ma vie d'adulte - puisque j'ai maturé au point de plus avoir besoin des mets de ma culture - mais dans certains moments de vulnérabilité, de maladie, ou de perte d'espoir, ces sensations seront mon chez moi, mon refuge contre les transitions brutales de l'âge, de la maladie et de la mort.

Le goût est le début, le goût est la fin. Le médium de toute expérience gustative est, sans trop vouloir y mettre une emphase définitive, l'amour maternel.

 

Richard Purdy

Est un artiste, professeur à Université du Québec à Trois-Rivières  et directeur du laboratoire pour les arts sensoriels SAVEUR

 

Son Curriculum

https://www.uqtr.ca/dessin

https://www.uqtr.ca/urav