Myriam Painchaud-St-Onge

PROJET 

Projet « Renaissance »

Texte descriptif

L’œuvre temple

Le temple refuge

L’œuvre refuge.

Habiter l’œuvre

Décoloniser le temple

Sacraliser le refuge

Intentions de projet

 

J’ai voulu créer une œuvre d’art habitable, un « lieu de vie », un espace interactif qui incite au flânage, à la contemplation, c’est-à-dire à l’acte d’observation attentive qui arrête le temps. Par cette invitation à prendre place dans certaines parties de l’œuvre, par la permissibilité du toucher, je veux abolir la distance entre l’œuvre et le public, désacraliser le lieu d’exposition, pour le re-sacraliser autrement, à l’horizontale. Je tente d’anéantir la hiérarchie entre les différents règnes du vivant, d’élever le statut du règne végétal et animal et de ramener au sol, à la terre, celui de l’humain. Je questionne le mobilier et l’architecture dans laquelle les êtres occidentaux dits « modernes » habitent ainsi que leurs sources d’énergie. Ce projet aborde la temporalité de façon circulaire et brouille notre perception du passé, présent et futur. Il se penche sur des sujets historiques, sociologiques tels que le colonialisme, le patriarcat, la conjoncture identitaire et spirituelle entre les Premières nations et les peuples de l’Europe d’avant la Renaissance. Il s’inscrit dans une démarche éco-féministe et animiste, vise à contribuer au réenchantement du monde et à mettre en lumière l’interdépendance des différents aspects de la vie sur Terre.   

 Vue ensemble -petit

 

Description formelle de l’œuvre

 

Cette installation contient 5 éléments interconnectés disposés dans un parcours non linéaire. Elle mélange des éléments sculpturaux, de land art, une œuvre picturale basée sur des techniques de collage, de l’art vidéo, du mobilier, des objets du quotidien et de la sphère religieuse. Elle intègre les 4 éléments à sa symbolique, soit l’air, la terre, le feu et l’eau, ainsi que le bois et le métal. Elle met en scène les 5 règnes soit le règne animal, végétal, minéral, le règne des humains et celui des mycètes. Une expérience sonore sera intégrée dans une version ultérieure du projet. La dimension théâtrale, à travers la scénographie, l’éclairage et la disposition des modules dans l’espace, est partie intégrante de l’œuvre et peut être modifiée selon le lieu et les conditions d’exposition.

Récits, symboliques et sens des éléments

  1. Le Tripode

 

   Le premier élément de cette installation est la structure du tripode. Composé de 3 pôles crochus de bois de grève soigneusement recueillis lors d’expéditions nature, celles-ci sont fixées à un triangle équilatéral métallique de 6 pieds d’arête. Une corde épaisse maintient les branches ensemble. Une extrémité de celle-ci pend au centre de la structure et se joint à une corde faite de cheveux tressés qui rejoint le sol pour serpenter, tel un cours d’eau, jusqu’au cercle de cèdre, auquel elle s’attachera, à la manière d’un cordon ombilical reliant la mère au placenta. La symbolique du triangle est affiliée à la terre, à la stabilité et à la trinité. Ce dispositif n’est pas sans évoquer le tipi, habitat traditionnel autochtone, mais il se rapporte aussi au trépied fabriqué anciennement pour suspendre un chaudron au-dessus d’un feu. Le chaudron, comme le feu, évoque le principe d’alchimie, de transformation. La culture populaire a associé cette image de marmite bouillonnante à celle de la sorcière concoctant ses potions. C’est à partir de cette perspective que j’ai entamé le processus de réflexion de cette partie de l’installation, en voulant honorer la mémoire des femmes assassinées durant les chasses aux sorcières, ce sexocide au nom de la religion et du progrès. Aussi, à la place du chaudron, on retrouve une série de tresses de cheveux aux couleurs distinctes et des amas de cheveux s’apparentant à des scalps. Les cheveux sont des conducteurs d’énergie électromagnétique corporelle, des antennes qui nous connectent avec le tout et activent notre puissance. Ils sont aussi politiques. On rasait les femmes accusées de sorcellerie, on coupait les tresses des enfants autochtones des pensionnats, certaines religions imposent que les femmes cachent leurs cheveux. Les systèmes de dominations patriarcales sont responsables de maintes oppressions à l’égard des femmes et de la Terre. Pendues au bout de cette corde, ces tresses traduisent la mort, mais aussi l’union de la puissance des femmes et la transmission intergénérationnelle de la mémoire. Lorsqu’on s’assoit dans le cercle de cèdre, on se retrouve dans le chaudron, dans l’utérus de la Terre pour recevoir cette nourriture psychique par le cordon de tresses. Cette transimission est une forme de « shadow work », une façon de faire face à l’ombre collective en nous pour la transformer. L’œuvre picturale de l’installation, comme la littérature disposée dans le cèdre, participe à éveiller ces mémoires. La double perspective du tipi et du trépied du chaudron des sorcières symbolise aussi une conjoncture identitaire et affirme une perspective ancestrale commune aux Premières nations et aux peuples occidentaux : touTEs deux furent victimes de la colonisation (culturelle et territoriale) et du dogme religieux imposés par la force par les puissances dominantes européennes, toutes foncièrement patriarcales. Comme femme et comme artiste, je réclame cette mémoire en héritage et affirme cette identité métissée, de corps comme d’esprit. Les pôles du tripode, au-delà de leur rôle de potence, représentent également le principe masculin sain, érigé et puissant, qui veille et protège celle qui tisse, tresse et donne naissance. Parce que chaque aspect de la vie sur cette Terre est interconnecté à un autre, il me semble essentiel de tenter d’exprimer ces relations et les dualités qu’elles peuvent engendrer. L’équilibre sous-tend une interdépendance entre les éléments. C’est également ce que cette structure triangulaire nous rappelle.

 simul-trianglepetit

tipi from cercle - petit

  1. Le Cercle de cèdre

 

   Le cercle de cèdre — dans cette version-ci de l’installation, fait office de centre. Il est le site habitable de l’installation. Lorsqu’on l’intègre, qu’on s’y assoit, ou qu’on s’y couche, on peut tourner sur nous-mêmes afin d’observer les 4 autres éléments de l’œuvre. Vivre l’œuvre de ce point de vue en influence certainement notre perspective. L’odeur du cèdre embaume l’air du lieu, ce qui transformera et approfondira fort probablement la respiration des personnes qui sont à proximité, ce qui a un impact direct sur le rythme cardiaque et l’état général de celles-ci. Avec la sauge, le tabac et le foin d’odeur, le cèdre fait partie des médecines traditionnelles autochtones, et on lui attribue des propriétés purificatrices. Ses usages sont multiples, mais le simple fait de le respirer nous ramène, pour la plupart, directement à la forêt, dans la nature. Aussi, amener la nature dans l’espace institutionnel de la galerie, voire dans une architecture anthropique, est un geste politique. C’est un geste de ré-ensauvagement d’un lieu public bétonnés et aseptisé, par lequel la nature est invitée à s’exprimer dans son langage, dans le cas présent, par l’odeur. Il est prouvé que l’humain a plus tendance à prendre soin de ce qu’il côtoie, que de ce qui est en dehors de sa réalité immédiate. Re(s) — sentir la nature permet de nourrir notre lien avec elle. C’est le rôle que veut jouer le cèdre dans l’œuvre. Il est disposé en forme de cercle pour évoquer le nid, l’unité, l’utérus et la Terre. Il fait également office d’autel, de lieu de pratique d’un culte. Le porte-lampions d’église et les chandelles allumées évoquent cet usage. La beauté de la valse scintillante colorée de ces petites lumières est objet de contemplation et de recueillement. Le mariage de ces éléments s’inscrit dans une démarche de décolonisation de notre rapport à la terre, au sacré et au spirituel. Des livres dissimulés entre les branchages sont également un clin d’œil aux livres saints, sauf qu’ils ont pour titres : Femmes, magie et politiques, Beautiful trouble, Décoloniser le Canada, Philosophie de l’éducation pour l’avenir, Libérer la colère. En ce sens, l’œuvre opère une transformation de l’objet de culte et sacralise la connaissance, ici postcoloniale et féministe.

 cercle cedre et lampion - petit

détail livre - petit

  1. L’œuvre picturale

 

   Une œuvre picturale carrée est accrochée au mur de manière à ce qu’on lui fasse face lorsqu’on s’assoit devant les lampions intégrés au cercle de cèdre. Elle fait également partie du retable, de ce lieu de culte à la fois ancestral et futuriste, et remplace le tableau central placé derrière l’autel des églises catholiques. Comme celui-ci, les éléments de l’œuvre visent à entretenir la mémoire et la prière vivantes. C’est sur un babillard de liège de forme carré mesurant 4x4 pieds que ce collage d’images et d’essences prend vie. Photos d’archives, dessins, textiles, illustrations, matières picturales, plantes et minéraux composent l’œuvre dont l’élément central est un hibou empaillé aux ailes déployées incrusté au centre haut du cadre. Des bois de cerfs y sont également intégrés. Dans une perspective animiste, cet oiseau, messager de la sagesse et du changement, remplace la figure de Jésus sur la croix, et élève le règne animal au rang divin. Les images du collage évoquent l’Anthropocène et différents thèmes reliés aux abus vécus par les femmes et la Terre à travers l’histoire. Certaines rappellent également leurs pouvoirs et leurs forces, ce qui en fait un tableau d’archives profondément éco-féministes.

toile hibou close up - petit

 hibou toile contre plongée. -petit

  1. L’espace quotidien

 

   Un bonzaï est déposé au sol adjacent à une prise électrique d’où partent des rallonges et un fil lumineux de couleur bleue. Comme la corde de tresses, celles-ci serpentent au sol à la manière d’une rivière pour venir rejoindre une petite table sur laquelle sont branchés : un ordinateur qui projette en boucle une vidéo de mains massant la terre au ralenti, un autocuiseur qui mijote une décoction de racines de plantes, ainsi qu’une tasse et un livre. Cet espace met en scène le mobilier d’un quotidien dit « moderne » et actualise les symboliques présentées dans l’ensemble de l’installation. Il fait également le lien entre l’énergie et la nature, entre l’électricité, l’eau et le feu. La vidéo invite à ralentir et à connecter avec la terre. Elle questionne aussi la culture télévisuelle et veut inspirer un changement de cap dans les types d’imageries, de récits, de cinémas et de publicités desquelles se nourrit notre psyché dans l’espace public.

Bonzai - petit

rallonge et bleu - petit

 Espace quotidien- petit

  1. La vierge Marie : figure de la déesse et des femmes

 

   Enfin, la vierge Marie blanche appuyée sur mur blanc ferme la boucle. Discrète, mais « toujours vivante », tel que l’indique l’écriteau rédigé avec du sang menstruel qu’elle porte au cou, elle veille sur le monde et les femmes, invaincue, mais blessée par ces siècles de domination. Elle incarne le visage renouvelé de la grande déesse des païenNEs, qui vénéraient une divinité féminine et célébraient les cycles naturels. Elle offre une autre perspective du religieux décolonisé, mais tisse le lien avec l’histoire catholique du territoire québécois. Elle se dresse aussi au nom de l’entité Terre, celle qui nous nourrit et qu’on continue pourtant d’exploiter et de vider de son sang. Une bûche d’arbre recouverte de champignons est placée au sol à ses côtés. Elle nous rappelle les cycles de vie et de mort, le principe du compost, le règne du mycélium et l’interrelation entre les éléments.

Vierge marie - petit

Myriam Lafae