Département d'anatomie
Anecdotes anatomiques

Un exosquelette étymologique

Regis   Régis Olry, professeur titulaire, Département d’anatomie 

    

Le squelette présente décidément bien des particularités. Linguistiques tout d’abord, car c’est le seul mot français du genre masculin qui se termine par « ette », anatomiques ensuite car si certains le portent à l’intérieur de leur corps — ce qui constitue un endosquelette —, d’autres l’arborent fièrement à l’extérieur — d’où le terme d’exosquelette. Nous faisons partie des premiers, crabes et homards font partie des seconds. Ayant de longue date constaté la vulnérabilité de ses tissus mous exposés en surface, l’Homo sapiens décida, après espionnage crustacéen, de copier l’involontaire stratégie du fruit de mer et de se fabriquer différentes pièces d’armure. Sachant que « l’occident anatomique adaptera le schéma du corps à l’architecture domestique mais surtout à l’architecture militaire » 1, il n’est donc pas surprenant qu’anatomie et art de la guerre se soient mutuellement influencés jusque dans le domaine de la linguistique.

 

Quand l’art de la guerre influence l’anatomie : le cartilage thyroïde

Les soldats des légions romaines se protégeaient à l’aide d’un grand bouclier rectangulaire, bombé vers l’avant, nommé scutum. Il n’en fallait pas davantage pour que d’anciens anatomistes y reconnaissent plus ou moins la morphologie du cartilage thyroïde, et nomment donc celui-ci cartilage scutiforme (Cartilago scutiformis 2), soit en forme de scutum. On vit circuler d’autres synonymes dans les siècles passés : cartilago peltalis, parmalis, ou clypealis 3, mais tous fautifs car les termes latins pelta, parma et clypeus désignent certes des boucliers, mais de forme arrondie et non quadrangulaire.

Le centre d’un bouclier présente un relief en forme de bosse que le latin nomme umbo, d’où dérive évidemment le terme « ombilic ». L’étymologie n’est donc que partiellement respectée par la membrane tympanique et la paroi abdominale antérieure : celle-là présente certes un umbo et celle-ci un umbilicus, tous deux à peu près centraux, mais en creux alors que le centre du bouclier est convexe.

  

110 scutum     Bouclier de type scutum. Remarquer la forme quadrangulaire, la concavité postérieure, et le umbo central.

 

L’adjectif « thyroïde » mérite lui aussi quelques explications, mais ici une certaine précision étymologique s’impose. Le mot grec thura signifie « porte » — d’où les termes « Tür » en allemand et « door » en anglais —, c'est-à-dire un objet créé pour protéger ce qui se trouve à l’intérieur d’une maison. Un autre mot grec, thuréos, fait référence à une grosse pierre tenant lieu de porte, mais aussi à un bouclier carré et long porté par les hastaires romains; l’adjectif thuréoeidès s’applique donc à ce qui a une forme de bouclier long : le cartilage thyroïde, ressemblant bien davantage à un bouclier qu’à une porte, aurait donc du s’appeler thyréoïde et non thyroïde.

 

Pour conclure ce paragraphe, rappelons également que le terme allemand qui désigne le cartilage thyroïde est « Schildknorpel », soit « cartilage bouclier ».

 

Quand l’anatomie influence l’art de la guerre : cnémide, cuissard et cervelière

La cnémide, du grec knêmis (jambière), était une pièce d’armure protégeant le devant de la jambe des soldats grecs. Knêmis est un dérivé de knêmé qui désigne la jambe, et que l’on va retrouver au niveau du galbe du mollet. La partie superficielle du muscle triceps sural a été désignée sous les noms de « gémeaux » 5, « jumeaux » 6, ou  « bi-fémoro-calcanien » 7, parmi bien d’autres. Mais depuis sa création en 1895, la nomenclature anatomique officielle a toujours utilisé le terme « gastrocnémien » 8, ce qui signifie littéralement « ventre de la jambe » (gastêr, knêmé). L’ancien français confirme d’ailleurs la métaphore : le mollet se disait jadis « bodène », qui plus tard deviendra la fameuse « bedaine » 9.

 

Le cuissard, pièce d’armure « couvrant toute la partie externe de la cuisse » 10, inspira l’anatomiste italien Michele Vincenzo Giacinto Malacarne qui le compara à l’éminence collatérale 11, connue au XVIIIème siècle sous le nom de « cuissard de Malacarne ». Avouons que dans cette métaphore, le lien nous échappe.

 

Quant à la cervelière, « coiffure de mailles ou de plaques de fer enveloppant exactement la partie supérieure du crâne » 12,  son étymologie nous semble assez évidente pour ne pas avoir à épiloguer.

 

 

Notes

1 Castan P. (1992) L’anatomie masquée. Un essai sur la symbolique du langage anatomique. Montpellier, p. 47.

2 Du Laurens A. (1605) Historia anatomica. Lugduni, apud Horatium Cardon, p. 176.

3 Hyrtl J. (1880) Onomatologia anatomica. Wien, Wilhelm Braumüller, p. 548.

4 Pessonneaux É. (1959) Dictionnaire grec-français. Paris, Eugène Belin, 29ème édition, p. 714.

5 Tassin L (1688) Les administrations anatomiques et la myologie. Paris, Michel Vaugon, 3ème édition, p.176.

6 Disdier F.-M. (1753) Sarcologie, ou traité des parties molles. Première partie. De la myologie. Paris, p. 112.

7 Dumas C.-L. (1797) Système méthodique de nomenclature et de classification des muscles du corps humain. Montpellier, Bonnariq, Avignon et Migueyron, p. 190.

8 Donath T. (1960) Erläuterndes anatomisches Wörterbuch. Terra Budapest, Verlag Medicina Budapest, p. 91. À noter que le terme « gastrocnémien » se retrouve déjà en 1789 dans l’Exposition sommaire des muscles du corps humain de François Chaussier (Paris, Barrois le jeune, Mé;quignon l’aîné, Croullebois, p. 35).

9 Pagès F. (1983) Au vrai chic anatomique. Paris, Éditions du Seuil, p. 26,

10 Viollet le Duc E. (1996) Encyclopédie médiévale. S.l., Bibliothèque de l’Image, vol. 2, p. 281.

11 Relief soulevé dans le ventricule latéral par le sillon collatéral.

12 Viollet le Duc E. (1996) Encyclopédie médiévale. S.l., Bibliothèque de l’Image, vol. 2, p. 265.

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